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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/473

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tendu entre toi et le comte de Llera. Tu connais les intentions de ta tutrice et les miennes, et tu peux, dans une affaire comme celle-ci, t’en rapporter à nos têtes plus froides et à notre grande expérience. Don Luis t’aime et n’a jamais aimé la princesse, quoiqu’il n’eût point été surprenant qu’un jeune homme doué de passions impétueuses, et qui a été si souvent exposé à la tentation, n’eût éprouvé quelque sentiment involontaire et passager pour une femme si belle et si attrayante.

— Luis est convenu de tout cela, Señora ; il n’a jamais été inconstant, mais il a été faible.

— C’est une dure leçon donnée à la jeunesse, mon enfant, dit la reine avec gravité. Mais elle serait encore plus pénible si tu l’avais reçue plus tard, c’est-à-dire à cette époque où la tendresse plus profonde d’une femme a succédé aux impressions de la jeune fille. Tu as entendu l’opinion des médecins ; il y a peu d’espoir de rappeler Ozéma à la vie.

— Ah ! Señora, quelle cruelle destinée ! mourir dans une contrée étrangère, à la fleur de l’âge, et avec un cœur brisé par le poids d’un amour non partagé !

— Et cependant, Mercédès, si le ciel ouvre les yeux d’Ozéma lorsque le dernier acte de sa vie sur la terre sera terminé, la transition n’en sera que plus heureuse pour elle, et ceux qui déplorent sa perte feraient mieux de s’en réjouir. Sa jeunesse, son innocence, son cœur pur, se sont montrés à nu devant nous ; il ne leur manque plus que les fruits d’une pieuse instruction. Elle n’a rien à craindre pour ses erreurs personnelles. Tout ce qu’on peut faire pour une semblable jeune fille, c’est de la placer dans le sein de l’Église, en obtenant pour elle le sacrement du baptême ; et il n’y aura pas un prélat prêt à quitter le monde, qui puisse emporter avec lui plus d’espérance d’un bonheur futur.

— C’est ce saint office que monseigneur l’archevêque est sur le point de remplir, m’a-t-on dit, Señora.

— Cela dépend en quelque sorte de toi, ma fille. Écoute, et ne sois pas trop prompte dans ta décision ; le bonheur d’une âme y est attaché.

La reine alors raconta à Mercédès la demande romanesque d’Ozéma ; elle le fit en termes si touchants et si doux, qu’elle excita moins de surprise et d’alarme qu’elle ne l’avait craint elle-même :