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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/489

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d’équipage. Mais les Pater et les Ave que je dis pour lui suffiraient pour paver cette côte.

Luis s’avança au milieu du groupe, non sans avoir préalablement fait un salut, donnant pour prétexte sa curiosité de connaître les particularités du départ d’une flottille sur laquelle il était lui-même. Ainsi qu’il s’y attendait, Monica ne le reconnut pas sous son riche costume, et elle raconta volontiers tout ce qu’il savait, et même ce qu’il ne savait pas. Cet entretien fit voir à quel point, chez cette femme, l’enthousiasme avait remplacé le désespoir : démonstration suffisante pour expliquer la révolution qui s’était opérée dans l’opinion publique ; si l’on veut bien réduire aux proportions d’un cas particulier l’expression d’un sentiment général.

— J’ai beaucoup entendu parler d’un nommé Pinzon qui partit en qualité de pilote d’une des caravelles, ajouta Luis : qu’est-il devenu ?

— Il est mort, Señor, répondirent à la fois une douzaine de voix. Mais celle de Monica parvint à s’élever suffisamment au-dessus des autres pour raconter l’histoire :

— Il était jadis en renom dans ce pays, reprit-elle ; mais à présent il a perdu sa réputation aussi bien que la vie. Il fut perfide, dit-on, et mourut de douleur lorsqu’il vit la Niña en sûreté dans la rivière, tandis qu’il s’attendait à recueillir seul toute la gloire de l’entreprise.

Luis avait été beaucoup trop absorbé par ses affaires personnelles pour songer, avant ce jour, à s’informer du destin de Pinzon ; il continua sa promenade, triste et rêveur.

— Que tel soit à jamais le sort des espérances coupables et des desseins que Dieu ne doit pas favoriser ! s’écria-t-il lorsqu’il se fut éloigné ; la Providence a protégé l’amiral, et certainement, mon amour, elle n’a pas été moins bonne pour moi.

— Voici Santa-Clara, répondit Mercédès ; Luis, je voudrais y entrer pour rendre grâces au ciel de t’avoir sauvé, et en même temps offrir une prière pour les succès futurs de don Christophe.

Ils entrèrent dans l’église et allèrent s’agenouiller au pied du maître-autel ; car, dans ce siècle, les plus braves guerriers n’auraient pas rougi, comme on le voit dans le nôtre, d’avouer publiquement leur reconnaissance et leur soumission envers Dieu. Ce devoir rempli, l’heureux couple retourna en silence sur le rivage et regagna la felouque.