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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/59

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songeait qu’aux objets qui plaisaient ses yeux, ou qui souriaient à son imagination ; mais il était toujours disposé à prêter l’oreille aux remarques que faisait de temps en temps son révérend compagnon.

— Quelle heureuse et glorieuse journée pour la chrétienté ! s’écria le père Pédro, après un intervalle de silence un peu plus long que de coutume ; une impie domination qui avait duré sept cents ans, vient d’expirer ; l’orgueil du Maure est enfin abattu, et la croix est élevée au-dessus des bannières du faux prophète ! Tu as eu des ancêtres, mon fils, qui pourraient presque sortir de leurs tombeaux et se promener avec joie sur la terre, si la nouvelle d’un si grand changement pouvait arriver aux âmes des chrétiens qui ont quitté ce monde depuis si longtemps.

— Que la bienheureuse Marie intercède pour eux, mon père, afin qu’ils ne se dérangent pas, même pour voir le Maure chassé de chez lui ; car, quelque agréable que l’infidèle ait rendu Grenade, ces âmes saintes ne trouveraient pas cette ville comparable au paradis.

— Mon fils don Luis, tes discours ont pris un ton de légèreté peu convenable depuis tes derniers voyages, et je doute fort que tu penses autant à tes Pater et à tes Confiteor, que lorsque tu étais sous les yeux de ton excellente mère, de sainte mémoire.

Ces mots furent prononcés, non seulement d’un ton de reproche, mais avec une chaleur voisine de la colère.

— Ne me grondez pas si sévèrement, mon père, pour un ton de légèreté qui vient de l’inconséquence de la jeunesse, et non d’un manque de respect pour la sainte Église. Vous me réprimandez vertement, et vous-même pourtant, quand je viens près de vous en pénitent pour vous faire l’aveu de mes fautes et vous en demander l’absolution, vos yeux sont fixés sur je ne sais quoi, avec la même attention que si quelqu’un des esprits dont vous venez de parler était arrivé pour voir le Maure sentir son cœur se briser en quittant son cher Alhambra.

— Vois-tu cet homme, Luis ? demanda le moine, les yeux dirigés du même côté, mais sans aucun geste qui pût faire distinguer au milieu de la foule l’individu dont il parlait.

— Par ma véracité, mon père, j’en vois mille ; mais je n’en aperçois pas un seul qui attire mes regards, comme s’il descendait du paradis. Puis-je sans indiscrétion vous demander quel est celui qui fixe ainsi les vôtres ?