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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/63

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— Père Pedro, lui dit-il, oubliez un instant que vous avez été mon précepteur, et abaissez-vous jusqu’à causer raisonnablement avec moi d’un sujet si extraordinaire. Vous, sûrement, vous ne prétendrez pas que la terre soit ronde ?

— Je ne vais pas aussi loin que certaines personnes sur ce point, Luis ; car je trouve dans l’Écriture Sainte des difficultés qui s’y opposent. Cependant cette affaire des voiles m’embarrasse beaucoup : et j’ai souvent désiré d’aller par mer d’un port à un autre, afin d’en juger par mes propres yeux. Sans les malheureuses nausées que j’éprouve toujours, même sur un bateau, je crois que j’en ferais l’épreuve.

— Ce serait un exploit digne de toute votre sagesse ! s’écria le jeune homme en riant. — Le père Pédro de Carrasral changé en voltigeur, comme son ancien élève, et à cheval sur une fantaisie ! Mais ne vous inquiétez pas, mon honorable parent et excellent maître, car je puis vous épargner cette peine. Dans tous mes voyages par terre et par mer, — et vous savez que, pour mon âge, je n’ai pas mal voyagé, — j’ai toujours trouvé partout la terre plate, et la mer plus plate encore, sauf quelques vagues turbulentes et rebelles.

— Cela a paru ainsi à tes yeux, je n’en doute point ; mais ce Colon, qui a voyagé beaucoup plus que toi, pense différemment. Il soutient que la terre est une sphère, et qu’en faisant voile à l’ouest, on peut atteindre des points auxquels on est déjà arrivé en voguant à l’est.

— Par saint Laurent ! c’est une idée hardie ! — et se propose-t-il sérieusement de se hasarder dans l’immense mer Atlantique, et même de la traverser pour chercher quelque terre éloignée et inconnue ?

— C’est précisément son projet ; et depuis sept ans il ne cesse de solliciter la cour de lui en fournir les moyens. J’ai même entendu dire qu’il avait déjà passé beaucoup de temps, — peut-être sept autres années, — à faire la même demande en différents pays.

— Si la terre est ronde, dit don Luis ayant l’air de réfléchir, qui empêche toute l’eau de couler vers la partie qui est la plus basse ? comment se fait-il même que nous ayons des mers ? Et si, comme vous me l’avez dit, il croit que les Indes sont en dessous de nous, comment leurs habitants peuvent-ils se tenir debout ? il faut qu’ils marchent la tête en bas.

— Cette objection a été faite à Colon, mais il n’y attache pas une