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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/74

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prenait aux succès du projet de Colomb ; mais à cette saillie de don Luis, elle prit un air sérieux et lui jeta un regard dans lequel il lut lui-même un reproche. Gagner l’affection de la pupille de sa tante était le plus ardent désir de ce jeune homme, et un regard de mécontentement de Mercédès suffisait en tout temps pour réprimer en lui cette gaieté excessive qui lui donnait souvent un air de légèreté qui empêchait de rendre justice aux excellentes qualités de son cœur et de son esprit. L’influence de ce regard le porta à vouloir réparer le tort qu’il s’était fait à lui-même, et il se hâta d’ajouter aussitôt :

— Doña Mercédès paraît être aussi du parti des découvertes. Ce Colon semble avoir eu plus de succès auprès des dames de Castille qu’avec les nobles.

— Est-il extraordinaire, don Luis, dit Mercédès d’un air pensif, que les femmes aient plus de confiance dans le mérite, plus d’impulsions de générosité, plus de zèle pour Dieu que les hommes ?

— Cela doit être, puisque vous et ma tante Béatrix, vous avez pris parti pour ce navigateur. Mais il ne faut pas toujours entendre mes paroles dans le sens qu’elles paraissent avoir. — En ce moment Mercédès sourit, mais pour cette fois c’était un sourire malin. — Je n’ai jamais étudié avec les ménestrels, et, pour dire la vérité, guère plus avec les hommes d’église. Pour vous parler franchement, je dois vous dire que j’ai été frappé du noble projet du séñor Colon, et s’il part réellement pour aller à la découverte du Cathay et des Indes, je prierai Leurs Altesses de me permettre de l’accompagner ; car, à présent que les Maures sont chassés d Espagne, un noble n’a plus rien à y faire.

— Si vous partez véritablement pour cette expédition, dit doña Béatrix avec une gravité ironique, et que vous arriviez dans le Cathay, il s’y trouvera du moins un homme dont la tête sera tournée à l’envers. — Mais voici un messager de la cour. Je suppose que Son Altesse désire ma présence.

La marquise de Moya ne se trompait pas : le messager venait lui annoncer que la reine la demandait. Les usages du temps et du pays ne permettaient pas que doña Mercédès continuât sa promenade seule avec don Luis. Doña Béatrix les conduisit donc dans le logement qui lui avait été choisi parmi les nombreux et splendides appartements de rois maures : il s’y trouvait un salon convenable à son rang et à la faveur dont elle jouissait auprès de