Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine, avec embarras et pesanteur ; mais à peu de distance du point de départ, vous trouvez le souffle ; votre voile, qui était vide, s’enfle à mesure ; vous filez encore quelques nœuds, les cordages sifflent, les antennes crient, et vous voilà voguant à pleines voiles jusqu’au terme du voyage, où vous êtes tout étonné, et où vous regrettez presque d’arriver si tôt, tant vous avez pris plaisir aux mille variétés du passage. — Ce que nous disons là, il est peu de personnes qui ne l’aient éprouvé à la lecture des meilleurs romans de Walter Scott lui-même ; et cependant, quel plus admirable génie, quel plus habile peintre que Walter Scott ? On peut dire de ces deux génies d’une trempe pareille, que l’exactitude est pour eux une muse. Ce qui, sous une plume vulgaire, serait plat, revêt entre leurs mains je ne sais quel charme. Vous êtes-vous jamais senti le courage de passer outre aux descriptions de Walter Scott, toutes longues qu’elles aient pu paraître quelquefois ? Non, vous les avez dévorées jusqu’au bout ; et cela tient à son talent propre en ceci, d’artiste et de peintre, qualité rare, et qui est le partage aussi de Cooper. On dirait que cet objet trivial dont on se plaît à vous faire la minutieuse description est un accessoire obligé qui se lie indispensablement à l’action, et qu’à ce titre vous trouvez bon qu’on vous en parle si longuement. C’est là un art, assurément, dont peu de personnes ont connu le secret, bien qu’au premier abord rien ne paraisse plus aisé. C’est pourquoi aussi nous avons vu tant de pâles imitateurs des deux grands romanciers, tant d’écrivains à la suite, s’imaginer que la description sans but et sans mesure, et par la même sans intérêt, suffisait à défrayer les quatre volumes obligés d’un roman.

Cooper, au sortir du service maritime, s’était marié ; il avait trouvé dans la fille de M. Lancey une compagne digne de lui. Possesseur d’un honnête revenu, il ne chercha point dans le travail des ressources pécuniaires. Il écrivit pour écrire, en artiste, en homme qui veut se satisfaire, et qui met la gloire et l’honneur de bien faire à haut prix. Riche pour ses besoins, pour ses goûts, en repos quant à sa famille, à qui l’état de sa fortune présente suffisait pareillement, il se livra dès lors, sans préoccupation étrangère à l’art, à la composition du roman, comme il l’avait conçu d’après de récentes inspirations. Son premier ouvrage, toutefois, ne sembla pas promettre ce qu’a réalisé depuis l’habile romancier ; non qu’il n’y ait dans ce premier roman, Précaution, ou le Choix d’un mari, de l’observation, des nuances délicates, des portraits de mœurs finement touchés ; mais Cooper semble être mal à l’aise dans le cercle où il s’est renfermé ; l’air, la place, lui manquent dans la peinture des mœurs de salon ; il lui faut un champ plus vaste, plus de soleil, de liberté et d’espace.

À Précaution succédèrent, à peu de distance l’un de l’autre, l’Espion, les Pionniers, Lionel Lincoln, le Dernier des Mohicans, la Prairie, le Corsaire rouge, les Puritains d’Amérique, l’Écumeur de mer, le Bravo, le Bourreau de Berne et l’Heidenmauer. Le succès dépassa les espérances de l’auteur. Non seulement ses romans eurent le pouvoir d’enthousiasmer ses