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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/84

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— Je voudrais pouvoir lire dans votre cœur, doña Mercédès, continua-t-il, car quoique la modestie enchanteresse et la réserve timide de votre sexe ne fassent que river d’autant mieux les chaînes qui nous attachent à vous, elles embarrassent l’esprit des hommes plus accoutumés à la rencontre d’un adversaire dans un champ clos qu’au labyrinthe de l’adresse des dames. Désirez-vous que je n’embarque dans une aventure que la plupart des hommes, — le sage et prudent don Ferdinand, que vous estimez tant, à leur tête, — regardent comme un projet visionnaire, qui ne peut que conduire à leur perte ceux qui y prendront part ? Si je le croyais, je partirais dès demain, quand ce ne serait que pour que ma présence haïssable ne trouble plus votre bonheur.

— Don Luis, vous ne pouvez vous justifier d’avoir conçu un soupçon si cruel, dit Mercédès cherchant à punir la méfiance de son amant par une apparence de ressentiment, quoique ses larmes, en dépit de sa fierté, coulassent le long de ses joues. Vous savez que votre présence n’est haïssable pour personne, ni ici ni ailleurs ; vous savez, au contraire, que vous êtes généralement aimé, quoique la prudence et la réserve des Castillans puissent ne pas donner à votre vie errante la même approbation qu’aux soins d’un courtisan ou aux devoirs d’un chevalier.

— Pardon, chère, très-chère Mercédès ; mais vos marques de froideur et d’aversion me font quelquefois perdre la raison.

— Froideur ! aversion ! Luis de Bobadilla, Mercédès de Valverde vous a-t-elle jamais montré l’une ou l’autre ?

— Je crains que doña Mercédès de Valverde, en ce moment même, ne soit occupée à m’en fournir quelque preuve.

— Vous connaissez donc bien peu ses motifs, et vous appréciez bien mal son cœur. Non, Luis, je n’ai pas d’aversion pour vous, et je ne voudrais même pas vous traiter avec froideur. Si des idées si étranges vous dominent à ce point et vous causent tant de peine, je tâcherai de m’expliquer plus clairement. Oui, plutôt que de vous voir emporter cette fausse idée, et peut-être vous précipiter encore dans quelque aventure insensée sur mer, je surmonterai ma fierté et oublierai la réserve et la prudence qui conviennent à mon sexe et à mon rang, pour mettre votre esprit plus à l’aise. En vous conseillant de vous attacher à ce Colon et d’entrer de tout cœur dans ses nobles projets, j’avais en vue votre propre bonheur, puisque vous m’avez bien des fois juré que votre bonheur ne pouvait être assuré que…