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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/87

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témoignée après le succès que j’avais obtenu dans ce tournoi, dans lequel je portais vos couleurs, qui m’a chassé d’Espagne et presque du monde ?

— Si le monde pouvait attribuer toute votre conduite à une pareille cause, tous les obstacles disparaîtraient à l’instant. Mais, ajouta Mercédès avec un sourire malin, quoique sa voix et ses regards exprimassent la tendresse, je crains que vous ne soyez très-sujet à ces accès de folie, et que vous ne cessiez jamais de désirer d’aller jusqu’aux dernières limites du monde, sinon d’en sortir tout à fait.

— Il est en votre pouvoir de me rendre aussi stable que les tours de cet Alhambra. Un seul sourire semblable à celui-ci, chaque jour, m’enchaînerait à vos pieds comme un Maure captif, et écarterait de moi tout désir de voir autre chose que votre beauté. — Mais la reine ! vous avez oublié de me dire ce que Son Altesse a dit et fait.

— Vous fûtes vainqueur dans ce tournoi, Luis. En cette journée glorieuse, tous les chevaliers castillans étaient en selle, et aucun ne put vous résister. Votre lance fit vider les arçons à Alonzo de Ojéda lui-même. Vos louanges étaient dans toutes les bouches ; toutes les mémoires… peut-être serait-il plus exact d’ajouter à l’exception d’une seule, oubliaient toutes vos folies.

— Et cette mémoire était la vôtre, cruelle Mercédès !

— Vous ne le croyez pas, méchant Luis ? — Ce jour-là, je ne me rappelais que votre cœur noble et généreux, votre port mâle dans le champ clos, et toutes vos excellentes qualités. La meilleure mémoire fut celle de la reine. Elle me fit venir dans son cabinet quand la fête fut terminée, et pendant une heure elle me parla de différents objets du ton le plus doux et le plus affectueux, avant d’en venir au véritable sujet pour lequel elle m’avait mandée près d’elle. Elle me parla de nos devoirs comme chrétiens, de nos devoirs comme femmes, et surtout des obligations solennelles que le mariage nous impose, et de toutes les peines qui accompagnent les unions les plus heureuses. Quand elle m’eut émue jusqu’aux larmes en me donnant des marques d’une affection qui égalait l’amour d’une mère, elle me fit promettre, — et je confirmai cette promesse par un vœu respectueux, — que je ne paraîtrais jamais à l’autel, tant qu’elle vivrait, sans que sa présence annonçât l’approbation qu’elle donnait à mon mariage, ou, si une maladie ou quelque devoir à remplir l’en