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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/112

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— Que pouvons-nous y faire, Signor ? Le roi a droit au service de tous ses sujets, et il en a besoin ; et la presse se fait tellement à la hâte qu’on peut quelquefois commettre une méprise. Ensuite ces Yankees ressemblent tellement aux Anglais, que je défierais le diable de les en distinguer.

Le vice-gouverneur pensa qu’il y avait dans tout cela quelque chose de contradictoire, et il le dit ensuite à son ami le podestat. Mais cette discussion en resta là pour le moment, probablement parce qu’il sentait que le lieutenant Griffin ne faisait que se servir de ce qu’on pourrait appeler un argument national, le gouvernement anglais protestant constamment qu’il était impossible de distinguer un peuple de l’autre dans la pratique de la presse, quoique rien ne l’offensât davantage que d’entendre dire qu’il y eût entre eux la moindre analogie au moral ou au physique.

Le résultat de cette discussion fut néanmoins que les deux fonctionnaires adoptèrent, quoique fort à contre-cœur, l’opinion du lieutenant anglais, et convinrent que le lougre ne pouvait être que le corsaire redouté, connu sous le nom du Feu-Follet. Une fois convaincus de ce fait, la honte, la mortification et l’esprit de vengeance s’unirent à leur devoir pour les disposer à aider de tout leur pouvoir l’exécution des projets du capitaine Cuff. Il fut peut-être heureux pour Raoul et ses compagnons que le capitaine-anglais eût un désir si prononcé de prendre le lougre « en vie, » comme dit le lieutenant Griffin ; car, en changeant de place deux ou trois pièces d’artillerie, et en les transportant derrière quelques remparts naturels parmi les rochers, rien n’eût été plus facile que de le couler à fond où il était. Il est vrai que la nuit était obscure, pas assez cependant pour rendre un bâtiment tout à fait invisible à la distance où se trouvait le Feu-Follet, et la première volée aurait certainement suffi.

— Dès que toutes les parties furent d’accord sur le véritable caractère du petit bâtiment à l’ancre dans la baie, on discuta les détails de la marche qu’il convenait de suivre. Une fenêtre de la maison du gouvernement donnait du côté de Capraya, par où la Proserpine était attendue, et elle fut mise à la disposition de Griffin. Le jeune lieutenant s’y posta vers minuit, prêt à allumer des feux bleus[1] dès qu’il pourrait distinguer les signaux de sa frégate. La position de cette fenêtre convenait parfaitement au secret qu’on voulait garder ; car la lumière serait complètement cachée du côté de la ville, tandis qu’on la distinguerait parfaitement du côte de la mer ; il en était de même

  1. Dits feux de conserve.