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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/142

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permit de descendre un peu le canal ; mais il prit bientôt trop de force pour que la conformation des côtes pût influer sur sa direction. Le zéphyr, comme les anciens appelaient particulièrement la brise de l’après-midi pendant l’été, est rarement tout à fait un vent d’ouest, car il s’y joint en général une tendance au nord ; et à mesure qu’on remonte la côte, ce même vent tourne ordinairement autour de l’extrémité septentrionale de la Corse, et souffle de l’ouest-nord-ouest. Cette circonstance aurait permis au lougre de gouverner vers une baie profonde sur les bords de laquelle est située la ville de Biguglia, s’il avait pu serrer le vent autant qu’il aurait pu le faire ordinairement. Mais après l’avoir essayé quelques minutes, Raoul fut convaincu qu’il devait avoir plus d’égards pour l’état de ses mâts avariés, et laisser porter sur l’embouchure du Golo. C’était une rivière assez grande pour que des bâtiments ne tirant pas beaucoup d’eau pussent y entrer ; et comme une petite batterie était établie près du mouillage, il résolut d’y chercher un refuge pour réparer ses avaries. Il fit donc ses calculs en conséquence ; et, prenant pour points de direction les pics couverts de neige des environs de Corte, il fit gouverner le lougre comme la circonstance l’exigeait.

Le résultat qu’aurait la chasse n’inspirait guère moins d’intérêt à bord de la Proserpine qu’à bord du Feu-Follet. Si la frégate n’avait rien à craindre, elle avait à se venger, et elle désirait avoir l’honneur de la prise du plus hardi corsaire qui fût sorti des ports de France. Pendant quelques minutes, lorsqu’elle arriva à l’extrémité occidentale de l’île d’Elbe, ce fut une sérieuse question de savoir si elle pourrait la doubler comme le lougre l’avait fait, car il avait passé à une encâblure des rochers sur le bord des brisants, et beaucoup plus près d’eux que la frégate n’osait le faire ; mais elle avait pris la brise à une plus grande distance de la terre que le Feu-Follet ; et elle pouvait espérer de tourner le promontoire sans changer de bordée. Virer de bord, c’eût été abandonner la chasse, car elle aurait été portée trop au nord, tandis que le lougre filait au sud-ouest à raison de sept nœuds. La largeur du canal n’est que d’environ trente milles, et elle n’aurait pas eu le temps de regagner la distance qu’elle aurait d’abord perdue.

Cette hésitation causa un moment d’impatience fébrile à bord de la Proserpine, tandis qu’elle approchait rapidement du promontoire. Le point capital était de le doubler sans virer de bord. Les apparences étaient favorables et annonçaient une eau profonde près du rivage ; mais on a toujours à craindre des rochers près des côtes montagneuses. D’ailleurs, le promontoire était comparativement peu élevé,