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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/203

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Ces croyants à la prédestination regardaient avec froideur ce qui se passait, quoiqu’il courût même parmi eux un bruit secret qu’une maligne influence planait sur ce pays, et qu’un esprit noble et fier s’était laissé maîtriser par la passion qui prive si souvent les héros de leur empire sur eux-mêmes et de leur indépendance.

Ghita cessa de prier quand le coup de canon se fit entendre, et elle osa même lever ses yeux pleins de larmes vers la frégate. Tous les regards se dirigèrent du même côté, et l’on vit remuer la corde attachée au bout de la vergue de misaine. Plusieurs têtes s’élevèrent peu à peu au-dessus des bastingages, et, en ce moment, on vit sur la plate-forme le condamné et le prêtre qui l’accompagnait. L’infortuné Caraccioli, comme nous l’avons déjà dit, était dans sa soixante-dixième année, et les cheveux blancs qui couvraient sa tête nue attestaient le cours régulier de la nature pendant ce temps. Il était sans habit, et ses bras étaient liés derrière son dos au-dessus du coude, ce qui lui laissait en partie l’usage des mains et même des avant-bras ; il avait le cou nu, et la corde qui y était déjà attachée pour prévenir les accidents, avertissait à chaque instant le malheureux condamné de la fonction révoltante à laquelle elle était destinée.

Un murmure sourd s’éleva sur tous les bateaux à ce spectacle, et un grand nombre de têtes se penchèrent pour prier. Ce signe de compassion fut une consolation momentanée pour l’infortuné dont la fin était si proche ; et il regarda autour de lui, éprouvant un léger retour de ces sentiments terrestres qu’il s’était efforcé d’extirper de son cœur depuis qu’il avait fait ses adieux à Ghita et qu’il avait appris que sa dernière demande, celle d’une commutation dans le genre de mort, avait été rejetée. C’était un moment terrible pour un homme comme don Francesco Caraccioli, qui avait passé une longue vie au milieu de la scène qui l’entourait, — illustre par sa naissance, — comblé des dons de la fortune, — honoré pour ses services, — accoutumé à la déférence et au respect. Jamais le glorieux panorama de cette baie ne lui avait paru si beau qu’au moment où une mort violente et ignominieuse allait le faire disparaître à ses yeux. Des montagnes empourprées, — du vide azuré qui couvrait sa tête, — des eaux bleues sur lesquelles il semblait déjà être suspendu, — d’une côte ornée de villages, de villas et de vignobles, — ses yeux passèrent sur les bâtiments et les bateaux qui remplissaient la baie, et qui étaient eux-mêmes remplis de masses d’êtres vivants. Il jeta un regard de reproche mélancolique sur le pavillon qui flottait au haut du mât d’artimon du Foudroyant, et laissa tomber ensuite un coup d’œil sur les têtes qui étaient en dessous, et qui semblaient un tapis