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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/231

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Roller s’approcha de celui qui était le sujet de ces remarques, et qui restait complètement immobile, et il commença à penser aussi que ses traits ne lui étaient pas étrangers. Il tourna autour de lui pour l’examiner sous tous les aspects ; mais dès qu’il aperçut la longue queue qui lui pendait sur le dos, il lui donna un coup sur l’épaule, et s’écria :

— Vous voilà donc de retour, mon garçon ? Vous êtes le bienvenu. J’espère que vous vous trouverez aussi bien ici que par le passé. — C’est Bolt, capitaine, le gabier de misaine qui déserta de notre frégate la dernière fois que nous étions en Angleterre. Il fut arrêté et mis en prison sur un ponton ; mais nous apprîmes ensuite qu’il s’était échappé avec deux ou trois prisonniers français, en volant un des canots du bâtiment. — Ne vous souvenez-vous pas de tout cela, monsieur Griffin ? Vous devez vous rappeler que le drôle voulait se faire passer pour Américain.

Ithuel vit alors qu’il était complètement découvert, et que ce qu’il pouvait faire de mieux était de se soumettre à son sort. La physionomie de Cuff se rembrunit, car sa profession faisait qu’il regardait tout déserteur avec une sorte d’horreur ; et le déserteur qui avait été contraint par la violence de servir un pays qui n’avait d’autre droit à ses services que celui de la force, lui inspirait un ressentiment additionnel causé par une voix secrète qui lui disait qu’il avait commis une grande injustice en retenant cet homme sur son bord. Un tel sentiment n’avait rien d’extraordinaire ; car la ressource la plus commune de l’homme qui en opprime un autre est de chercher dans la conduite de sa victime des circonstances qui puissent lui faire illusion et le justifier à ses propres yeux.

— Avez-vous entendu ce que M. Roller vient de dire, drôle ? demanda le capitaine. Je vous reconnais à présent : vous êtes Bolt, le gabier de misaine, qui avez déserté à Plymouth.

— Si vous aviez été à ma place, capitaine Cuff, vous auriez aussi déserté, quand même votre bâtiment eût été à Jéricho.

— Taisez-vous, Monsieur ; pas d’impudence. — Monsieur Griffin, envoyez chercher le capitaine d’armes, et faites mettre cet homme aux fers. Demain matin nous nous occuperons de son affaire.

Ces ordres furent exécutés, et Ithuel fut emmené dans la partie du bâtiment qui est ordinairement le siège de l’empire du capitaine d’armes. Cuff congédia alors son second lieutenant et les deux Italiens, et se retira dans sa chambre particulière, pour rendre compte à l’amiral de tout ce qui venait de se passer. Plus d’une heure s’écoula avant qu’il eût rédigé une dépêche dont il fût satisfait ; mais