Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/38

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à portée de la main d’un ennemi. — Regardez, Ghita ; vous pouvez le voir par cette percée entre les maisons, — dans cette partie sombre de la baie, — vous devez voir qu’aucun canon des batteries de Porto-Ferrajo ne peut l’effrayer, et encore moins l’atteindre.

— Je connais sa position, Raoul, et je comprends pourquoi vous avez mouillé dans cet endroit. Je vous ai reconnu, ou j’ai cru vous reconnaître, dès que vous avez été à portée de ma vue, et je n’ai pas été fâchée de voir un si ancien ami. — J’irai même plus loin, et je dirai que je m’en suis réjouie ; car il me semblait que vous passiez si près de cette île pour faire savoir à quelqu’un, que vous saviez y être, que vous ne l’aviez pas oublié. Mais, en vous voyant entrer dans la baie, j’ai cru que vous aviez perdu l’esprit.

— Et je l’aurais réellement perdu, chère Ghita, si j’avais été plus longtemps sans vous voir. Que sont ces misérables insulaires pour que je les craigne ? Ils n’ont pas un seul croiseur, ils n’ont que quelques felouques qui ne valent pas la peine que je les brûle. Qu’ils nous montrent seulement le bout d’un doigt, nous prendrons à la remorque cette polacre autrichienne qui est dans leur port, nous la conduirons au large, et nous la brûlerons à leurs yeux. — Le Feu-Follet mérite son nom. Il est ici — là — partout, avant que ses ennemis puissent s’en douter.

— Mais ses ennemis ont conçu des soupçons, et vous ne pouvez être trop circonspect. Dans quelle situation je me trouvais quand la batterie tirait sur vous ce soir !

— Et quel mal m’ont-ils fait ? Ils ont coûté au grand-duc deux gargousses et deux boulets, et n’ont pas même fait changer de route à mon petit lougre. Vous avez trop vu de pareilles choses, Ghita, pour être alarmée par un peu de fumée et de bruit.

— J’en ai trop vu, Raoul, pour ne pas savoir qu’un gros boulet, lancé de ces hauteurs, tombant sur votre Feu-Follet, et en perçant la coquille, l’aurait infailliblement coulé à fond.

— Eh bien ! en ce cas, il nous serait resté nos canots, répondit Raoul avec un ton d’insouciance qui n’avait rien d’affecté ; car une intrépidité aveugle était son défaut plutôt que sa vertu. D’ailleurs, il faut qu’un boulet vous touche avant de vous tuer ; de même qu’il faut prendre le poisson avant de le jeter dans la poêle à frire. Mais n’en parlons plus, Ghita : j’ai assez de poudre et de boulets tous les jours de ma vie ; et puisque j’ai enfin trouvé cet heureux moment, ne perdons pas le temps à en parler.

— Je ne puis penser à autre chose, Raoul ; et, par conséquent, je ne puis parler que de cela. S’il prenait tout à coup fantaisie au