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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/42

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tant de tranquillité qu’un étranger aurait pu se l’imaginer, d’après le profond silence qu’il y aurait remarqué. Tommaso Tonti était un homme qui avait, dans sa sphère, autant d’influence que le vice-gouverneur dans la sienne, et après avoir quitté le podestat, comme nous l’avons dit, il était allé rejoindre le cercle de patrons et de pilotes qui avaient coutume de l’écouter comme un oracle. Leur rendez-vous ordinaire, à la chute du jour, était une certaine maison tenue par une veuve nommée Benedetta Galopo, dont la profession était suffisamment indiquée par un petit bouquet de verdure suspendu à un bâton avançant d’environ un pied au-dessus de sa porte. Si Benedetta connaissait le proverbe qui dit — À bon vin point d’enseigne, — elle n’avait pas assez de foi au contenu de ses tonneaux pour leur confier entièrement sa réputation, car elle avait soin de renouveler son bouquet de verdure chaque fois qu’il commençait à se faner ; ce qui faisait souvent dire à ses pratiques que son bouquet de verdure était toujours aussi frais que son visage, et que son visage était le plus agréable à voir qu’on pût trouver dans toute l’île ; circonstance qui ne contribuait pas peu au débit d’un vin assez médiocre. Benedetta jouissait d’une assez bonne réputation, quoiqu’on sentît, plus souvent qu’on ne le disait, qu’elle était une franche coquette. Elle tolérait Tommaso, principalement pour deux raisons : la première, parce que, s’il était vieux, et qu’il n’eût jamais été même dans sa jeunesse ce qu’on peut appeler un bel homme, il attirait dans ce cabaret plusieurs marins qui étaient jeunes, dispos et bien faits ; la seconde, parce que non-seulement il buvait aussi sec que personne, mais qu’il payait toujours très-ponctuellement. Ces deux motifs faisaient que le vieux pilote était toujours bien accueilli à la Santa Maria degli Venti, comme on appelait cette maison, quoiqu’elle n’eût d’autre enseigne que le bouquet de verdure souvent renouvelé dont il a été parlé.

Au moment où Raoul Yvard et Ghita se séparèrent sur les hauteurs, Tommaso était donc assis à sa place ordinaire devant une table, dans une chambre au premier étage de la maison de Benedetta, de la fenêtre de laquelle on pouvait voir le lougre aussi bien que l’heure le permettait, car il était à l’ancre à environ une encâblure de distance, et, comme l’aurait dit un marin, par le travers. Il choisissait toujours cette chambre quand il désirait n’avoir qu’un petit nombre d’amis pour rendre hommage à son expérience, et, en cette occasion, il n’avait que trois compagnons. Ils n’étaient assemblés que depuis un quart d’heure, et la marée commençait déjà à baisser dans un pot qui ne contenait guère moins d’un demi-gallon de vin.