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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/45

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donnée. Après le départ du capitaine Smit, Vito Viti avait fait retomber la conversation sur les soupçons de Tommaso, et en rapportant quelques petites circonstances qui lui avaient paru étranges dans la conduite du marin, et qu’il avait remarquées pendant le souper, il finit par reprendre ses premiers doutes, et fit renaître en même temps ceux d’Andréa Barrofaldi. Ils n’avaient pourtant que quelques inquiétudes assez légères ; mais le podestat ayant dit qu’il avait un rendez-vous avec le vieux pilote, le vice-gouverneur résolut de l’accompagner afin de reconnaître lui-même le bâtiment étranger. Tous deux portaient un manteau, ce qui n’avait rien d’extraordinaire pendant la fraîcheur de la nuit, même en plein été, et c’était tout le déguisement que les circonstances exigeaient.

Il signor vice-governatore ! s’écria Benedetta, retrouvant enfin la parole, et s’empressant d’essuyer une table et deux chaises qu’elle plaça machinalement des deux côtés de la table, comme si de si grands personnages ne pouvaient avoir d’autre motif pour entrer chez elle que de boire de son vin. — Votre Excellence me fait un honneur que je voudrais recevoir bien souvent. Nous sommes de pauvres gens, nous autres qui demeurons sur le bord de l’eau ; mais je me flatte que nous sommes aussi bons chrétiens que ceux qui demeurent sur les hauteurs.

— Je n’en doute pas, Bettina, et…

— Je me nomme Benedetta — au service de Votre Excellence. — Benedettina, si bon vous semble, mais non Bettina. — Nous tenons beaucoup à nos noms, ici sur le bord de l’eau, Excellence.

— Eh bien, bonne Benedetta, je ne doute pas que vous ne soyez bonne chrétienne. — Un flacon de vin, s’il vous plaît ?

Elle fit une révérence pleine de gratitude, et le regard de triomphe qu’elle jeta sur ses autres hôtes remplaça la discussion qui allait commencer quand les deux dignitaires étaient arrivés. La question de la bonté de son vin allait être décidée une fois pour toutes. Si le vice-gouverneur en buvait, quel marinier oserait ensuite en médire ?

Elle alla chercher une bouteille de vin qui faisait partie d’une douzaine d’autres qui contenaient réellement le meilleur vin de Toscane, et qu’elle gardait pour les grandes occasions ; et en ayant retiré l’huile à l’aide d’un peu de coton, de sa main blanche et potelée elle la mit sur la table en disant : — Un million de remerciements, Excellence ; c’est un honneur qui n’arrive à la Santa Maria degli Venti qu’une fois par siècle. — Et vous aussi, signor podestat, vous n’avez encore eu le loisir d’entrer chez moi qu’une seule fois avant celle-ci.

— Nous autres garçons, répondit le podestat, — car ni lui ni le