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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/80

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— Sans doute, c’est la Proserpine. Itouel me l’a dit, et il en est sûr. — Vous vous rappelez Itouel, chère Ghita ; l’Américain qui était à la tour avec moi. — Eh bien, il a servi à bord de ce bâtiment, et il le reconnaît pour être la Proserpine, frégate de 44 canons. — Il s’arrêta un moment et ajouta en riant de manière à surprendre sa compagne : — Oui, c’est la Proserpine, capitaine sir Brown.

— Je ne vois pas ce que vous pouvez trouver d’amusant dans tout cela, Raoul. Sir Brown, ou sir je ne sais qui, vous enverra encore dans ces prisons flottantes dont vous m’avez si souvent parlé, et cette idée n’a sûrement rien d’agréable.

— Bah, bah ! ma bonne Ghita, sir Brown, ou sir Black, ou sir Green ne me tient pas encore. Je ne suis pas un enfant à me jeter dans le feu parce qu’on ne me tient plus en lisières. Le Feu-Follet brille ou s’éteint suivant que cela lui convient. Dix contre un que cette frégate entrera ici pour voir ce port de plus près, et repartira ensuite pour Livourne, où ses officiers trouveront à s’amuser plus qu’à Porto-Ferrajo. Ce sir Brown à sa Ghita aussi bien que Raoul Yvard.

— Non, je ne crois pas qu’il ait une Ghita, Raoul, répondit-elle en souriant en dépit d’elle-même, tandis qu’une rougeur plus foncée lui montait aux joues ; Livourne a bien peu d’ignorantes campagnardes comme moi, qui aient été élevées dans une tour solitaire sur la côte.

— Ghita, répondit Raoul avec une sensibilité profonde, bien des nobles dames de Rome et de Naples pourraient porter envie à cette tour solitaire, car elle vous a laissé la pureté et l’innocence, — perle qui se trouve rarement dans les grandes capitales, ou qui, si elle s’y trouve, ne conserve plus sa beauté première, parce qu’elle est souillée par le frottement.

— Que connaissez-vous de Rome, de Naples, de nobles dames et de perles, Raoul ? demanda Ghita en souriant, la tendresse qui remplissait son cœur se trahissant en ce moment par le regard qu’elle jeta sur lui.

— Ce que je connais de pareilles choses ? Sur ma foi, j’ai été dans ces deux villes, et j’y ai vu tout ce dont je viens de parler.

— J’ai été à Rome pour voir le saint père, afin de m’assurer si les idées que nous avons en France de son caractère et de son infaillibilité sont vraies, avant de me choisir une religion pour moi-même.

— Et n’avez-vous pas trouvé en lui un homme saint et vénérable,