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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/179

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en deux heures. Mon tour commençait à minuit, et devait durer jusqu’à deux heures ; Marbre devait me remplacer de deux à quatre heures, et tout le monde ensuite devait être sur pied pour hisser nos mâts. Quand j’arrivai sur le pont, à onze heures, je trouvai le troisième lieutenant conversant, comme il le pouvait, avec le Plongeur, qui, ayant dormi, ainsi que l’Échalas, une bonne partie du jour, paraissait disposé à passer la nuit à fumer.

— Combien de temps y a-t-il que ces Indiens sont sur le pont ? demandai-je au troisième lieutenant, au moment où il allait descendre.

— Pendant tout mon quart. Je les ai trouvés avec le capitaine, qui m’a transmis leur compagnie. Si le Plongeur comprenait quelque chose à une langue humaine, on pourrait tirer quelque parti de sa société ; mais je suis aussi fatigué de lui faire des signes que je l’aie jamais été de la journée la plus laborieuse.

J’étais armé, et j’aurais rougi de témoigner quelque crainte d’un homme sans armes ; d’ailleurs, les deux sauvages ne me donnaient aucun motif de défiance particulier. Le Plongeur était assis sur le guindeau, où il fumait sa pipe avec un air de philosophie qui eût fait honneur au plus grave de tous les babouins. Quant à l’Échalas, il ne paraissait pas avoir assez d’intelligence pour fumer ; occupation qui, au moins, a le mérite de donner une apparence de sagesse et de réflexion. Je n’ai jamais pu découvrir si nos grands fumeurs sont réellement plus sages que le reste des hommes, mais on conviendra qu’ils paraissent tels ; il était malheureux que cette habitude fût inconnue à l’Échalas ; le drôle aurait eu du moins l’air de penser quelquefois. En ce moment, tandis que son compagnon s’amusait à fumer sur le guindeau, il rôdait sur le pont, comme un porc eût pu le faire à sa place, et sans paraître avoir plus d’idées.

Je commençai mon quart avec un sentiment bien vif de l’étrangeté de notre situation. La sécurité qui régnait à bord me frappait comme étant peu naturelle, et cependant je ne pouvais découvrir pour le moment aucun motif particulier d’alarme. Je pouvais être, il est vrai, jeté par-dessus le bord ou égorgé par les deux sauvages, mais quel intérêt avaient-ils à me faire périr, puisqu’ils n’auraient pu se débarrasser du reste de l’équipage sans être découverts ? Les étoiles brillaient au ciel, et un canot ne pouvait guère approcher du navire sans que je le visse ; circonstance qui, à elle seule, diminuait sensiblement le danger. Je passai le premier quart d’heure à faire ces réflexions ; puis, m’habituant à ma situation, je commençai à moins m’en occuper, et je revins à d’autres pensées.