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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/31

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plaît parfois à imprimer ce caractère tout à la fois de douceur, d’éclat, de vérité, qu’on attribue aux anges. Son teint était plus clair que le mien ; ses yeux d’un bleu céleste, ses joues de la teinte de la plus pâle des roses, et son sourire si plein de douceur et d’expression que maintes fois il a maîtrisé mes mouvements d’humeur et de vivacité. S’il y avait quelque chose à dire, c’est que peut-être elle était un peu trop frêle ; quoique ses membres délicats eussent pu servir de modèle au ciseau d’un sculpteur.

Lucie avait aussi une grande perfection, surtout de taille, quoique dans la part si large de beauté qui a été faite à la jeunesse de ce pays, elle eût été à peine remarquée dans une nombreuse assemblée de jeunes Américaines. Néanmoins l’expression de sa figure était agréable, et il y avait un contraste piquant entre l’ébène de ses cheveux, le bleu foncé de ses yeux, et la blancheur éblouissante de sa peau. Son teint était coloré, et variait suivant la nature de ses émotions. Quant aux dents, on eût pu voyager des semaines entières sans en trouver de pareilles ; et quoiqu’elle parût ne pas s’en douter, elle avait une manière naturelle de les montrer, qui eût donné du piquant à une physionomie beaucoup moins agréable. Sa voix, son sourire, quand elle était heureuse et sans soucis, respiraient le plaisir.

Ce serait peut-être aller trop loin que d’affirmer qu’aucun être humain ait été jamais complètement indiffèrent sur l’effet produit par sa personne. Cependant je ne crois pas qu’aucun de nous, Rupert seul excepté, ait donné une seule pensée à ce sujet, du moins en ce qui le concernait personnellement, avant l’époque dont je parle en ce moment. Je savais, je voyais, je sentais que ma sœur était plus belle que toutes les jeunes filles de son âge et de sa condition que j’avais vues auprès d’elle, et j’en étais fier et heureux. Je savais que je lui ressemblais sous quelques rapports, mais je n’avais pas la vanité de croire que je fusse à beaucoup près aussi bien qu’elle. Mon amour-propre, si j’en avais alors — je n’en manquai pas, mais un an ou deux plus tard — quoi qu’il en soit, en 1797, mon amour-propre se portait plutôt sur ma force physique, sur ma taille, sur mes proportions athlétiques, extraordinaires pour un enfant de seize ans. Je n’aurais pas échangé ces qualités mâles contre vingt fois la bonne mine de Rupert, et une pensée d’envie ne traversa jamais mon esprit à cet égard. Je pensais qu’il pouvait être bien pour un ministre d’être un peu délicat et d’avoir de beaux traits ; mais pour quelqu’un qui voulait courir le monde, comme j’avais déjà l’intention de le faire, la force, la santé, le courage et la vigueur étaient beaucoup plus à désirer que la beauté.