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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/132

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elle, adoucira la douleur que vous causerait une pareille visite ; et alors vous ne regarderez notre bien-aimée Grace que comme un pur esprit qui nous attend dans le ciel. Il fallait la connaître comme nous la connaissions pour comprendre toutes ses vertus. Mon père m’a parlé du désir qu’elle avait montré de nous voir accepter un souvenir de l’affection qu’elle nous portait. Cette attention touchante n’était pas nécessaire : le peu de cheveux que j’ai d’elle — et j’en ai aussi réservé pour vous, — me sont bien plus précieux que tous les bijoux du monde. Mais enfin, puisqu’il faut se soumettre à une volonté, devenue sacrée pour nous, je désirerais que ce souvenir consistât dans les perles que vous avez données à Grace, à votre retour de la mer Pacifique. Il est bien entendu que je ne veux pas parler du beau collier que vous avez réservé pour celle qui vous sera un jour plus chère qu’aucune de nous, mais des quelques perles que vous lui avez distribuées devant moi à Clawbonny. Elles ont assez de valeur en elles-mêmes pour que les intentions de Grace soient remplies, et je sais que leur plus grand prix à ses yeux était de venir de vous, cher Miles. Je suis sûre que vous ne penserez pas que cette circonstance me les fera paraître moins précieuses. Comme je sais où elles se trouvent, j’irai à Clawbonny pour les prendre moi-même ; ainsi, vous n’avez plus à songer à ce cadeau ; je l’ai reçu, et je vous en décharge, pour peu que vous n’ayez pas d’objection à ma proposition. »

Je ne savais que penser. Dans le temps, j’avais voulu partager les perles entre les deux amies ; mais Lucie avait refusé obstinément, et aujourd’hui elle me demandait ces mêmes perles, dont la valeur était très-inférieure à la somme que Grace avait affectée à l’achat d’un bijou pour son amie. Ce désir de posséder ces perles était difficile à expliquer ; Grace laissait d’autres bijoux qu’elle avait portés encore plus souvent. J’avais eu, je l’avoue, un instant l’idée d’offrir mon collier ; mais un peu de réflexion m’avait démontré que c’était m’exposer évidemment à un nouveau refus, et je n’en avais rien dit. Je ne pouvais qu’acquiescer au désir de Lucie ; mais en même temps je résolus d’y joindre quelque autre cadeau, afin que les intentions de ma sœur fussent complètement remplies.

Quoi qu’il en soit, la lettre de Lucie me causa une joie bien douce. Je me décidai à lui répondre sur-le-champ, et à charger le pilote de ma réponse. Je n’avais pas d’armateur qui pût prendre intérêt aux mouvements de mon bâtiment ; pas de sœur qui pût être