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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/158

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bord du Rapide, et il me dit tranquillement de leur payer ce qui pouvait leur revenir. Marbre était près de moi ; et voyant le sentiment de dégoût qui se peignait sur ma figure, il prit sur lui de répondre :

— Vous croyez donc qu’il faut régler les comptes avant que ces hommes quittent notre bord ? dit-il en lançant de mon côté un regard significatif.

— Sans doute, et c’est mon devoir d’y veiller. Veuillez donc vous en occuper sur-le-champ.

— Eh bien ! alors, c’est nous qui avons à recevoir, au lieu de payer. Vous avez pu voir sur le rôle de l’équipage que chacun d’eux a reçu cinquante dollars, ou deux mois de paie d’avance. Il reste un mois à courir ; nous prierons donc Sa Majesté de nous rendre la différence.

— Vous êtes bien impudent, mon ami. Prenez garde ! Savez-vous que ce ne serait pas la première fois que j’emmènerais le second d’un bâtiment marchand ?

— Je viens de la terre des Tombeaux, ce qui est un avantage ; attendu que je connais d’avance la route qu’il nous faudra parcourir tôt ou tard. Mon nom est Marbre, pour vous servir ; et ma tête est dure à l’avenant.

Dans ce moment le canot de la frégate amenait l’honorable M. Powlett. La présence du premier lieutenant empêcha la tempête qui allait probablement éclater. Sennit se contint, mais je suis sûr que le ressentiment qu’il conserva des sarcasmes de Moïse n’eut pas peu d’influence sur ce qui arriva plus tard.

M. Powlett ne ressemblait en rien à son compagnon. Ce pouvait être un gentleman accompli ; mais il était impossible de le prendre pour un marin. Il était incontestable qu’il devait son grade à des influences de famille, et que c’était un de ces rejetons de l’aristocratie (et je me hâte d’ajouter que ce n’est nullement la règle dans l’aristocratie anglaise) qui sont beaucoup mieux à leur place dans un salon qu’à bord d’une frégate. Comme je l’appris ensuite, son père occupait une haute position ministérielle, circonstance qui expliquait comment, à vingt ans, il se trouvait premier lieutenant d’une frégate de 36 canons, ayant sous ses ordres un officier surnuméraire, qui était marin longtemps avant la naissance de son supérieur. Mais le capitaine du Rapide lui-même, lord Harry