Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux pays ; l’application seule serait différente. Dans tous les cas, je suis prêt à en courir le risque, et je ne veux pas que personne s’unisse à mon sort, sans que je puisse compter sur son cœur comme sur sa main.

— Ma main, la voilà ! s’écria Marbre ; et, quant à mon cœur, vous savez où il se trouve et à qui il appartient. Mais, assez causé pour une première fois. Nous en dirons plus après le souper.

— Bien ! dites toujours un mot à Billings, le cuisinier. Je me charge de Neb, et nous pouvons être tranquilles sur son compte. Quant à l’autre, il sera bon de lui faire quelques promesses.

— Fiez-vous à moi, je connais l’homme, et la négociation ne sera pas difficile.

Marbre et moi nous nous séparâmes alors, et je montai sur le pont pour voir comment les choses s’y passaient. On ne voyait plus dans l’éloignement que le haut de la mâture du Rapide, pendant que l’Aurore continuait sa course, toutes les voiles dehors. Tous les Anglais étaient sur le pont, y compris Sennit. Celui-ci me fit un salut assez poli quand je mis le pied sur le gaillard d’arrière, mais j’évitai d’entrer en conversation avec lui. Mon but était d’examiner à fond ses compagnons, et de tâcher de voir comment on se proposait de les distribuer pendant la nuit. Un seul coup d’œil jeté sur Diggins me convainquit que Marbre l’avait bien jugé. C’était un de ces hommes sur qui les liqueurs fortes ont tout pouvoir, et l’amour de la bouteille avait dû mettre toujours obstacle à son avancement, quoique du reste ce parût être un excellent marin, ce qui se rencontre assez souvent. Je vis que nous en viendrions facilement à bout, puisque nous connaissions son faible. Mais Sennit ne semblait pas devoir être de si bonne composition. Le cognac avait bien aussi laissé quelques traces sur sa figure, mais il avait le sentiment de sa position et de la responsabilité qu’elle entraînait, et il savait se maintenir dans de justes bornes. Il avait plus d’habitude du monde que son compagnon, et son regard se promenait sans cesse de tous les côtés avec une vigilance qui ne laissait pas de m’inquiéter un peu.

Mon désir était de tenter un coup de main, s’il était possible, dans la nuit même, car chaque minute nous rapprochait rapidement de la Manche où les Anglais avaient tant de croiseurs que plus tard nous aurions eu peu de chances de nous échapper, quand même nous fussions parvenus à rentrer en possession de notre bâtiment. Je crai-