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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/172

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un autre projet en tête, et il n’est pas bien certain, après tout, que le premier moyen eût réussi ; car un des Anglais remonta presque aussitôt pour manger sur le pont, comprenant sans doute qu’il pouvait y avoir quelque danger à le laisser ainsi dégarni. Il faisait alors suffisamment sombre pour nos desseins, et je commençais à réfléchir sincèrement à la meilleure marche à suivre, quand l’eau bouillonna tout à coup avec fracas près de moi, et Marbre s’écria qu’un homme venait de tomber par-dessus le bord.

Sennit et moi, nous courûmes au passavant sous le vent, et nous aperçûmes encore le chapeau du pauvre diable, qui semblait nager avec énergie, au moment où l’Aurore passait devant lui en soulevant des flots d’écume.

— Tribord la barre ! s’écria Marbre ; tribord la barre ! vite aux bras de misaine, Neb — Vous, cuisinier, halez de ce côté, mon garçon. Capitaine Wallingford, veuillez nous donner un coup de main. — Occupez-vous du canot, monsieur Sennit ; nous nous chargeons des vergues de l’avant.

Tous ces détails avaient été profondément combinés d’avance dans le cerveau de Marbre. Par ce moyen, il sut réunir nos hommes sur le même point et les éloigner du canot. Ces dispositions furent prises si naturellement qu’elles ne pouvaient éveiller aucune défiance. Pour rendre justice à Sennit, je dois reconnaître que, dans cet appel soudain fait à son activité et à son énergie, il se conduisit très-bien. La perte d’un homme était une chose grave à ses yeux, parce que c’étaient deux bras de moins pour le service des manœuvres ; autant valait en sauver un qu’en presser un ; il fut le premier à sauter dans l’embarcation. Au moment où le bâtiment perdait son aire, le canot était prêt, et j’entendis Sennit donner l’ordre de le mettre à l’eau. Quant à nous autres Américains, nous avions bien assez à faire de brasser les vergues de l’avant. Aussitôt après, nous mîmes le grand hunier sur le mât, et nous réussîmes ainsi à ralentir la marche du bâtiment.

Je courus alors à la lisse de couronnement pour m’assurer de l’état des choses. Au moment où j’arrivais à l’arrière, Sennit encourageait ses matelots à nager vigoureusement. Je vis qu’il en avait six avec lui, et sans doute les six meilleurs de son équipage, car ce sont toujours les plus hardis et les plus intrépides qui se mettent en avant en pareil cas. Il n’y avait pas de temps à perdre, et je me retournai