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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/197

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dire aux pêcheurs que le passage était impraticable, et mon livre recommandait aux navigateurs de n’en approcher qu’avec une extrême prudence. Mais l’Aurore était dans une position telle que ce qui la mettait en danger faisait en même temps sa sauvegarde, puisque faire naufrage n’était rien pour moi auprès de tomber au pouvoir, soit des Anglais, soit des Français. Si je restais en dehors, je ne pouvais échapper à la frégate, tandis que j’avais au moins une chance d’éviter les récifs. M. Le Gros m’offrit une occasion favorable dont je ne manquai pas de profiter. Il avait coupé en faisant passer le bateau à travers quelques îlots que nous étions obligés de doubler, de sorte qu’il ne tarda pas à se trouver devant nous. Toutefois, au lieu de chercher à nous aborder, il entra dans une passe excessivement étroite, en faisant des gestes furibonds pour nous décider à l’y suivre. Dans ce moment la frégate nous tirait son premier coup de canon, et le boulet tomba très-près de notre bord. Si nous traversions la passe dans laquelle M. Le Gros était entré, nous tombions sous le vent de tout le groupe d’îlots ; et alors tout dépendait de la vitesse de notre course. Il n’y avait qu’une minute pour se décider. Dans un instant nous aurions passé l’ouverture, que nous ne pourrions plus retrouver qu’en virant de bord. Je donnai l’ordre de lofer.

Nos trois Français, persuadés cette fois qu’ils se dirigeaient vers la belle France, se montrèrent aussi agiles que des écureuils. Neb et Diogène pesèrent sur les bras avec leur force musculaire. Bientôt nous eûmes brassé au plus près, et l’Aurore présenta bien le cap au vent de la passe. M. Le Gros semblait enchanté. Il pensait sans doute que pour le coup nous agissions de concert ; et il nous montrait le chemin en agitant ses deux mains en l’air, tandis que tous les hommes du bateau, compris les pêcheurs, hurlaient, gesticulaient de manière à nous étourdir, si nous avions eu le temps d’y faire attention. Je crus à propos de suivre le bateau, mais je ne m’amusai pas à répondre à leurs cris. Si M. Le Gros avait eu l’idée de nous attendre dans l’endroit le plus étroit du passage, il eût pu nous embarrasser ; mais, loin de là, il semblait être emporté par l’entraînement de la chasse, et il courait en avant comme un enfant qui veut atteindre le premier le but.

Ce fut un instant d’angoisses que celui ou l’Aurore plongea de l’avant dans la passe étroite. La largeur d’une roche à l’autre, en ne