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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/226

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criai alors à mon second lieutenant d’avoir bon courage, et il répondit par des acclamations. Les Anglais poussèrent des hourrah, et nous en fîmes autant de notre côté.

— Oh ! du canot ! attention à la corde ! m’écriai-je ; file, Moïse, file !

Moïse jeta la corde des chaînes d’artimon ; elle fut saisie, et je fis signe à Neb de laisser arriver jusqu’à ce que les voiles fussent disposées. Le bruit des poulies de cargue-points annonça que Diogène amurait la grande voile avec une force de géant. La voile s’ouvrit, et Moïse et moi nous halâmes l’écoute de manière à faire sentir au bâtiment l’impulsion de cette énorme toile. M’élançant sur la lisse de couronnement, je vis nos hommes debout dans le canot, agitant leurs chapeaux, et regardant le cutter qui faisait de vains efforts pour atteindre une embarcation que nous entraînions si rapidement à la remorque. L’officier animait ses matelots à grands cris, et il se mit à charger un fusil. Dans ce moment, par une fatalité terrible, la remorque se détacha du banc du canot, et nous fûmes lancés, à ce qu’il me parut, à cent pieds de distance sur le sommet de la première vague. Nos pauvres amis n’eurent pas même le temps de s’asseoir pour reprendre leurs avirons avant que le cutter les eût accostés. Tant d’efforts étaient en pure perte ; et, après avoir été si près de recouvrer la meilleure partie de mon équipage, je restais de nouveau sur l’Océan, n’ayant que trois hommes avec moi pour gouverner l’Aurore.

Le lieutenant anglais connaissait trop bien son métier pour ne pas chercher à s’emparer de notre bâtiment. Il se contenta d’enlever du cutter tous les avirons, et il s’élança dans notre sillage. D’abord, il nous gagna, et je n’en fus pas fâché, car je désirais lui parler. Lorsqu’il fut à cinquante brasses, nous avions filé les écoutes, — l’officier me coucha en joue et m’ordonna de mettre en panne. Je sautai à bas de la lisse de couronnement, et, ayant le corps couvert jusqu’aux épaules, je l’ajustai avec un des fusils français, et l’engageai à prendre le large.

— Qu’avez-vous fait de l’équipage de prise que le Rapide a mis l’autre jour sur votre bord ? demanda le lieutenant.

— Nous les avons envoyés faire une promenade sur mer, répondis-je. Nous avons eu assez d’équipages de prise ici, et nous n’en voulons plus.