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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/231

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dépassé le point le plus rapproché de nous, sur ce bord. L’horizon du côté du vent, et tout le long du bord de la mer du nord, était couvert de nuages qui faisaient présager un grain. Ce sombre arrière-plan pouvait empêcher qu’on ne nous vît, et, dès que la nuit nous déroba la vue des voiles de la corvette, je fis mettre la barre dessous.

Ce n’était pas une petite affaire de faire virer vent devant un bâtiment tel que l’Aurore, avec tant de voiles, une pareille brise, et rien que quatre hommes. Nous nous jetâmes sur la barre comme autant de tigres ; puis les vergues de l’arrière furent changées facilement, mais les amures et les écoutes de la grande voile nous donnèrent beaucoup de peine. Après avoir mis la vergue de misaine carrée, nous brassâmes tout à l’arrière au plus près. Alors nous éventâmes toutes les voiles de l’avant, et nous finîmes par orienter les vergues et les boulines avec une force qui semblait irrésistible.

La corvette avait-elle viré de bord en même temps que nous ? C’était ce qu’il nous était impossible de savoir. En tout cas, elle devait nous rester près d’une lieue sous le vent, et nous continuâmes à gouverner vers les côtes d’Angleterre. Pas un de nous ne ferma l’œil de toute la nuit ; et comme nos regards dévorèrent de tous côtés l’horizon quand le retour de la lumière souleva lentement le voile qui nous le dérobait ! Rien n’était en vue, même lorsque le soleil eut paru pour inonder de flots de lumière toute la surface de l’Océan ; pas plus de corvette que si nous n’avions jamais été poursuivis. Sans doute elle avait continué sa route dans la même direction, dans l’espoir de nous rejoindre graduellement, ou de gagner assez de l’avant au vent pour être sûre de ne pas manquer sa proie dans la matinée.

Suivant notre estime, nous avions alors le cap tourné vers les côtes du pays de Galles, où nous pouvions espérer d’arriver dans les vingt-quatre heures, si le vent tenait bon. Je résolus donc de remonter le canal de Saint-George. Je pouvais rencontrer quelque embarcation venant de la côte septentrionale qui n’aurait peut-être pas à bord des matois aussi futés que notre pilote de Scilly. Nous portâmes en route tout le jour, et le soleil se coucha de nouveau sans que nous eussions découvert la terre. Nous vîmes plusieurs bâtiments dans l’éloignement ; mais c’était une des parties de l’Océan où nous avions le moins à craindre d’être inquiétés. C’était la route régulière des