Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/255

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songer à couper toutes les voiles des vergues, ainsi que les agrès qui ne servaient pas à retenir ensemble les débris. Le lecteur concevra sans peine combien ces mesures contribuèrent à l’allégement de mon radeau. La misaine seule pesait beaucoup plus que je ne pèserais moi-même avec toutes les provisions. Quant au petit hunier, il n’en restait qu’un lambeau, la toile ayant été arrachée en grande partie de la vergue par l’ouragan avant la chute du mât.

Je n’aurais pas été un véritable marin si je n’avais pas songé à me précautionner d’un mât et d’une voile ; je mis de côté le mât et la vergue de cacatois, avec sa voile, dans cette intention, déterminé à les gréer quand je n’aurais rien d’autre à faire.

Je n’avais plus qu’à m’occuper du transport des provisions, ce qui ne fut ni long ni difficile : un sac de biscuits de mer, du bœuf fumé, quelques bouteilles de liqueurs, et deux barils d’eau en formèrent la base ; j’y ajoutai un pot de beurre, avec des harengs et des anchois. La nourriture était soignée à bord de l’Aurore, et je n’eus pas de peine à réunir des vivres qui auraient suffi pour nourrir sept à huit hommes pendant un mois. Voyant que mon radeau, à présent qu’il était déchargé du poids des voiles et des agrès, portait sans peine ces provisions, je me mis à regarder autour de moi s’il n’y avait pas quelque objet précieux que je pusse désirer de sauver. L’ardeur que j’avais mise à faire ces préparatifs m’avait inspiré une sorte de confiance dans leur efficacité, aussi naturelle peut-être qu’elle était déraisonnable. J’examinai les différents objets qui se présentaient, en comparant leur valeur et l’utilité dont ils pouvaient m’être par la suite, avec un soin minutieux qui fournissait une triste preuve de la ténacité de nos désirs en pareil cas. J’emportais toujours avec moi sur mer un coffre précieux, que j’avais acheté dans un de mes voyages, et qui contenait ordinairement mon argent, mes habits et quelques objets de prix ; je parvins à le transporter sur le radeau à l’aide de leviers ; mais ce fut de beaucoup la partie la plus pénible de la tâche que j’avais entreprise. J’y ajoutai mon pupitre, un matelas, deux ou trois couvertures et quelques articles légers, qui pouvaient m’être utiles, et qu’il me serait facile de jeter à la mer en un moment, en cas de nécessité. Il était presque nuit, et je me sentais assez fatigué pour prendre quelque repos ; l’eau avait fait peu de progrès pendant les dernières heures, mais le bâtiment s’enfonçait tellement que je ne crus pas devoir m’endormir à bord. Je me