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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/291

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C’était en effet un bâtiment qui venait à nous, ayant les amures à bâbord et se dirigeant vers l’Angleterre. Il me semble que je le vois encore. Il avait deux ris pris à ses huniers, son grand foc, sa brigantine, et ses deux basses voiles. La direction qu’il suivait devait le faire passer à deux cents brasses sous notre vent, et mon premier mouvement fut de lofer. Un second coup d’œil nous montra que c’était une frégate anglaise, et nous larguâmes notre voile en toute hâte. Les cinq minutes qui suivirent furent pleines d’anxiété. Mes regards ne quittaient pas la frégate, lorsqu’elle passa près de nous, tantôt s’élevant sur le sommet d’une lame, tantôt descendant gracieusement dans le creux, en ne nous laissant voir que le haut de sa mâture. Je respirai enfin quand la frégate eut assez gagné de l’avant pour nous placer par sa hanche du vent ; mais je n’osai déployer de nouveau notre voile que lorsque sa coque sombre et luisante et ses sabords menaçants eurent disparu dans le brouillard.

À peine sortis de ce danger imminent, nous fîmes enfin une rencontre d’une nature plus agréable. Nous signalâmes notre arrière un bâtiment qui remontait la Manche vent arrière, et qui portait des bonnettes de hune. C’était un navire américain ! Nous fûmes tous d’accord sur ce point ; et comme son sillage était double du nôtre, nous gouvernâmes droit devant lui, certains qu’il ne tarderait pas à nous rejoindre. En effet, vingt minutes après, il passait contre nous, son équipage semblant très-curieux de savoir qui nous pouvions être. Marbre dirigea le canot avec tant d’adresse, que nous saisîmes un cordage et fûmes halés le long du bord, sans que le navire eût dû ralentir sa marche, quoiqu’il nous entraînât presque sous l’eau en nous remorquant. Dès que nous pûmes, nous sautâmes sur le pont, abandonnant le canot à sa destinée.

Nous ne nous étions pas trompés. C’était un bâtiment venant de James’River, chargé de tabac et allant à Amsterdam. Le capitaine entendit avec intérêt le récit de nos aventures, et nous témoigna beaucoup de sympathie ; toutefois nous ne restâmes avec lui qu’une semaine. Arrivés sur les côtes de Hollande, nous débarquâmes pour aller à Hambourg, où j’espérais qu’on m’avait adressé mes lettres, et d’où je savais que nous pourrions également regagner notre pays. À Hambourg je devais éprouver un nouveau désappointement. Il n’y avait pas une ligne pour moi, et nous nous trouvions sans argent dans une ville étrangère. Je ne crus pas prudent de raconter notre