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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/66

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cœur leurs enfants et les miens. Ah ! que ne m’a-t-il été donné de les réunir par des liens encore plus étroits !

— Vous savez si ce vœu était aussi celui d’au moins un de vos enfants ?

— Oui, Miles ; mais, avant cet héritage qui nous est tombé du ciel, nous étions trop pauvres pour songer à nourrir de semblables prétentions, et le silence que vous avez gardé, les absences que vous avez faites, ont laissé malheureusement d’autres liaisons se former. Rupert aussi n’a jamais vu dans Grace qu’une sœur à la main de laquelle il ne lui était pas permis d’aspirer. Le ciel n’a pas permis que tant de bonheur se réalisât sur la terre.

Hélas ! combien M. Hardinge était loin de soupçonner que c’était ce fils, qu’il croyait si délicat, dont l’ambition et l’égoïsme conduisaient ma sœur au tombeau ! Il continua pendant quelque temps à passer en revue toutes les charmantes qualités de Grace, et, à mesure qu’il les énumérait, il s’attendrissait de plus en plus. Il finit par envoyer chercher Lucie, et il resta enfermé avec elle pendant près d’une heure. J’ai su qu’il l’avait pressée de questions sur la cause de la maladie de ma sœur, allant même jusqu’à demander si le moral n’était pour rien dans ce dépérissement si extraordinaire. Lucie, malgré sa franchise ordinaire, jugea inutile d’éclairer son père, et elle sut éviter de répondre directement, sans pourtant altérer en rien la vérité. Elle savait bien que, si elle eût laissé entrevoir la vérité, Rupert eût été mandé à l’instant ; et que la réparation la plus complète eût été exigée comme un acte de justice. C’eût été amener de nouvelles scènes déchirantes, sans aucun bien pour la malade. La plus cuisante peut-être de toutes les souffrances pour elle, c’était l’indignité de l’homme qu’elle s’était plu si longtemps à parer de toutes les vertus. Cette illusion n’avait pu s’échapper de son cœur sans le briser. Ma pauvre sœur n’avait pas une organisation ordinaire. La sensibilité la plus exquise s’était manifestée en elle dès le berceau : lors de la terrible catastrophe qui nous avait ravi notre père, quoiqu’elle ne fût encore qu’une enfant, ou avait craint un moment pour ses jours ; la mort de notre mère, quoique prévue longtemps d’avance, avait failli encore éteindre le flambeau toujours si vacillant de sa vie. Je le répète : elle était si délicate et si pure en même temps, qu’elle ne semblait pas faite pour les luttes et les chagrins de ce monde.