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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/84

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j’aurai toujours devant les yeux l’image de Lucie, telle qu’elle m’apparut dans ce moment. Elle aimait Grace comme une tendre sœur, avec tout le dévouement dont un cœur de femme est capable ; et cependant, au moment où elle regardait comme son devoir de me faire une communication si douloureuse, c’était pour moi seul qu’elle semblait inquiète et tourmentée. Elle avait raisonné sa douleur ; et résignée, confiante, disposée à prévoir tout ce que sa foi sincère lui avait appris à espérer, je crois fermement que le sort de ma sœur lui paraissait plutôt digne d’envie que de regret, malgré sa sollicitude si poignante à mon égard. Cette généreuse abnégation me toucha vivement, en même temps qu’elle m’éleva au-dessus de moi-même, en me donnant la force de me maîtriser à un point que je n’aurais jamais cru possible. Je rougissais de laisser voir tout ce que je souffrais en présence de tant de courage, et cela de la part d’une personne dont le cœur était le siège des plus tendres affections humaines. Le sourire mélancolique qui se montra un moment sur les lèvres de Lucie pendant qu’elle parlait, respirait l’espérance et la foi du chrétien.

— Que la volonté de Dieu soit faite ! dis-je à voix basse ; le ciel est une place plus convenable pour une âme pareille que les demeures des hommes.

Lucie me serra la main, et parut soulagée par ce semblant de courage. Elle m’engagea à rester où j’étais jusqu’à ce qu’elle eût appris à Grace que j’étais revenu de l’église. Je pus voir à travers la porte entrouverte que les négresses s’étaient retirées, et j’entendis bientôt le pas de M. Hardinge qui entrait dans la pièce attenante à celle où j’étais et qui servait en quelque sorte d’antichambre pour ceux qui venaient à la chambre de la malade de cette autre partie de la maison. J’allai au-devant de mon excellent tuteur.

— Dieu ait pitié de nous, mon cher enfant ! dit le ministre d’un ton d’affliction autant que de prière ; oui, de nous, car Grace m’a toujours été aussi chère que ma propre fille. Je savais que le coup devait venir, et j’ai prié le Seigneur de nous y préparer, et de le faire servir à notre sanctification à tous ; mais néanmoins, la mort est venue littéralement au moment où personne ne l’attendait. Je voudrais avoir tout ce qu’il faut pour écrire, Miles ; et je vous prie de donner des ordres pour qu’un de vos gens soit prêt à partir dans une demi-heure pour porter ma lettre.