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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/86

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ministre, nous ne pouvons que nous soumettre. Mais Rupert peut du moins arriver à temps pour rendre les derniers devoirs à la sainte pour qui le ciel se sera ouvert.

Il n’y avait pas moyen de résister à tant de simplicité et de bonté de cœur ; au surplus, nous fûmes appelés dans cet instant auprès de Grace. Elle avait les yeux ouverts. Un frisson me saisit en voyant leur expression surnaturelle. Rien n’indiquait l’approche de la mort sous son aspect hideux ; mais c’était déjà cette espèce de rayonnement d’une âme qui se sent au moment de passer à un nouvel état d’existence. Je n’assurerais pas que je ne ressentis pas une impression douloureuse à la pensée que ma sœur pouvait être complétement heureuse sans que je fusse pour rien dans son bonheur. Nous sommes tous si égoïstes que ce sentiment se mêle presque toujours plus ou moins à nos pensées même les plus pures et les plus innocentes.

Mais Grace elle-même ne pouvait secouer entièrement le lien des affections terrestres tant que son âme restait prisonnière dans sa demeure mortelle. Au contraire, chaque regard qu’elle jetait sur nous respirait le plus tendre attachement. Elle était d’une faiblesse effrayante ; la mort semblait se hâter pour la délivrer le plus doucement possible ; et cependant l’intérêt qu’elle nous portait la soutint au point de lui donner la force de nous dire tout ce qu’elle désirait. Sur un signe qu’elle me fit, je m’agenouillai auprès d’elle, et je soutins sa tête sur ma poitrine, autant que possible dans l’attitude où nous avions passé tant d’heures ensemble pendant sa maladie. M. Hardinge, debout derrière nous, prononçait à voix basse, mais distinctement, quelques-uns des passages les plus sublimes de l’Écriture ; de ceux qui renferment les consolations les plus touchantes pour l’âme qui prend son essor vers le ciel. Quant à Lucie, elle était toujours là où sa présence était le plus nécessaire, et les yeux de Grace étaient souvent tournés vers elle avec une expression ineffable de reconnaissance et d’amour.

— L’heure approche, mon frère, dit tout bas Grace, la tête toujours appuyée sur mon sein. N’oubliez pas qu’en mourant je demande pardon autant pour ceux qui peuvent m’avoir offensée que pour moi-même. Songez que vous me l’avez promis ; ne faites rien qui puisse affliger Lucie et son père.

— Je vous comprends, ma bonne sœur, lui dis-je du même ton. Vous avez ma parole ; soyez sûre que je la tiendrai.