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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/91

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Nous comprîmes alors à quel point l’intelligence de la pauvre malade était affaiblie, et nous nous gardâmes bien de chercher à donner une direction plus vraie à ses pensées ; nous ne pouvions qu’écouter et pleurer. L’instant d’après, elle passa son bras autour du cou de Lucie, et l’attira vers elle avec une grâce enfantine :

— Lucie, ma chère, reprit-elle, il faut que nous détournions ces fous de garçons de cette idée d’aller en mer. Si le père de Miles et l’arrière grand-père de Rupert ont été marins, ce n’est pas une raison pour qu’ils le soient aussi.

Elle s’arrêta, parut réfléchir, et se tourna vers moi ; elle me considéra longtemps avec un tendre intérêt, comme le jour où nous avions eu notre première conférence dans la salle de famille. Elle eut encore assez de force pour soulever sa main amaigrie, la passant sur mon front, et jouant avec mes cheveux comme au temps de notre enfance.

— Miles, murmura la chère ange, car sa voix commençait à lui manquer, vous rappelez-vous ce que notre mère nous disait, de toujours dire la vérité ? Vous êtes un honnête garçon, cher frère, et ce n’est pas vous qui diriez jamais autre chose que ce que vous pensez. Je voudrais que Rupert eût autant de franchise.

Ce fut la première, la seule parole de Grace qui indiquât jamais qu’elle eût reconnu quelque défaut à Rupert. Plut à Dieu qu’elle eût été éclairée plus tôt ! mais c’est souhaiter à l’enfant le discernement et l’intelligence de la femme. La main de ma sœur était toujours sur mon front, et je ne l’aurais point déplacée, dans ce moment d’angoisses, pour acquérir la certitude d’être aimé de Lucie.

— Voyez, reprit ma sœur, comme son teint est bruni, quoique son front soit blanc ; je doute que ma mère le reconnût, Lucie ? Est-ce que Rupert est devenu aussi brun ?

— Rupert n’a pas voyagé autant que Miles, répondit Lucie d’une voix saccadée, tandis que le bras de Grace l’entourait toujours.

Cette voix si connue parut éveiller une nouvelle série d’idées.

— Lucie, demanda ma sœur, aimez-vous toujours Miles, comme lorsque nous étions enfants ?

— J’ai toujours eu, je conserverai toujours une profonde affection pour Miles Wallingford, répondit Lucie avec assurance.

Grace se tourna alors vers moi ; le bras qui était resté suspendu au cou de Lucie retomba de lassitude, et, depuis lors, ses