Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre son regard. Sa figure était détournée, quoique sans affectation ; il était évident qu’elle eût désiré que la connaissance se fût faite d’une manière moins intime, et que les premiers rapports se fussent bornés à un échange de saluts. Comme c’était la première fois que je la voyais, et que je n’avais pu l’offenser en aucune manière, j’attribuai cette conduite à un peu de mauvaise honte, et à l’embarras qu’elle éprouvait d’avoir été vue si récemment dans une position si différente de celle où elle se trouvait à présent. Je m’inclinai respectueusement, et serrant doucement la main qui était dans la mienne, pour rassurer celle à qui elle appartenait, je la laissai aller.

— Eh bien ! Ursule, avez-vous une tasse de thé à offrir au jeune maître, pour fêter son heureuse arrivée dans sa propre maison ? demanda André, très-content des rapports d’amitié qu’il avait établis entre nous. Le major a fait une longue marche, pour un temps de paix, et il ne sera pas fâché de se rafraîchir.

— Vous m’appelez major, mon ami ; et vous ne voulez plus qu’on vous donne ce titre.

— Ah ! c’est bien différent. Vous êtes jeune, vous pouvez devenir général, et vous le deviendrez avant que vous ayez trente ans ; mais moi j’ai fini mon temps, et je ne porterai plus d’autre uniforme que celui que j’ai endossé de nouveau. Je finirai, Mordaunt, dans le même corps où j’ai commencé ma carrière.

— Je croyais que vous aviez été arpenteur dans le principe, et que vous vous étiez rejeté sur la chaîne, parce que vous n’aviez pas de goût pour le calcul. Il me semble que vous me l’avez dit vous-même.

— C’est la pure vérité. Les chiffres et moi nous n’avons jamais pu nous accorder, et je ne les aime guère plus à soixante-dix ans que je ne les aimais à dix-sept. Frank Malbone, au contraire, le frère d’Ursule, sait manier des colonnes de chiffres comme votre père dirigeait son bataillon à travers un ravin. J’aime à porter la chaîne ; cela occupe suffisamment l’esprit. C’est un métier qui demande de l’honnêteté avant tout. On dit que les chiffres ne mentent pas, Mordaunt ; il n’en est pas de même de la chaîne elle ment quelquefois terriblement.