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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/169

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Le jeûne et l’exercice que j’avais subis avaient aiguisé mon appétit ; et, dans un sens du moins, je n’étais pas fâché de penser que j’étais près d’habitations humaines. Si quelqu’un demeurait dans cette forêt, ce devaient être des squatters. Sans doute l’établissement d’un moulin était une démonstration assez significative, et un peu de réflexion aurait pu me convaincre que ceux qui l’occupaient ne seraient pas flattés de recevoir la visite des propriétaires du sol ; mais, d’un autre côté, nous étions très-éloignés des huttes du porte-chaîne, et la faim nous pressait. Ce n’était pas que l’onondago s’en plaignît : jamais une souffrance, de quelque genre qu’elle fût, ne se peignait sur son visage ; encore moins s’exhalait-elle en paroles ; mais je pouvais juger par ma propre expérience de ce qu’il devait ressentir. J’avais en même temps un vif désir d’éclaircir ce mystère, et enfin j’éprouvais le besoin de m’arracher à mes propres pensées, d’exciter dans mon âme quelque intérêt nouveau, afin de faire diversion au sentiment qu’il me fallait travailler à étouffer.

Si je n’avais pas connu aussi bien mon compagnon, si je n’avais pas su quelle est la finesse et la subtilité des organes de l’Indien, j’aurais pu hésiter à aller plus loin sur des indices en apparence aussi vagues. Mais des circonstances récentes donnaient une nouvelle force aux assertions de Susquesus. Dans le principe, le Connecticut formait une partie des limites de la colonie de New-York du côté de l’est ; mais des troupes nombreuses de planteurs avaient émigré, surtout de la colonie adjacente de New-Hampshire, et ils étaient devenus formidables par leur position et par leur nombre, quelque temps avant la Révolution. Pendant la lutte, ces fiers montagnards, tout en manifestant des dispositions assez patriotiques, témoignaient le désir de rester neutres, toutes les fois qu’il était question de régulariser leurs droits. Leur patriotisme consistait en grande partie à être libres de faire ce qu’ils voudraient des terres dont ils avaient pris possession, mais il n’allait pas jusqu’à se soumettre à l’action régulière de la loi. Vers la fin de la guerre, les chefs de cette colonie, qui s’était organisée elle-même, furent plus que soupçonnés de faire des avances aux représentants de l’autorité royale, non qu’ils préférassent le gouvernement de la couronne,