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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/172

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semble perdre de son caractère odieux ; mais il porte sa punition avec lui, en ce qu’il gangrène complètement la société qui a eu la faiblesse de l’admettre même partiellement.

Toutefois je n’eus pas beaucoup de temps pour les réflexions ni pour les conjectures ; car bientôt, arrivés à un nouveau coude que faisait la rivière, nous découvrîmes l’endroit où une demi douzaines d’hommes de tout âge étaient occupés à placer les planches par petites piles de deux ou de trois, et à les lancer dans le courant. Il y avait un amas considérable de bois entassé sur le bord, au pied d’une colline où s’élevait le moulin en question. C’était une preuve évidente que les squatters étaient systématiquement à l’ouvrage, dépouillant de leurs plus beaux arbres les forêts qui nous appartenaient et jetant le plus audacieux défi au droit de propriété. Les circonstances demandaient une grande énergie, jointe à une extrême prudence. Ce que je devais à mon père et au colonel Follock, dont j’étais le représentant, et le sentiment même de ma dignité, ne m’eussent pas permis de me retirer, quand même j’aurais pu être un moment tenté de le faire par prudence.

J’éprouvais aussi de plus en plus le besoin de faire une diversion violente aux sentiments d’angoisse qui m’oppressaient depuis qu’Ursule Malbone avait repoussé si positivement l’offre de mon cœur, et je n’en étais que plus disposé à me lancer dans les aventures les plus hasardeuses. Nous étions encore cachés, et Susquesus profita de cette circonstance pour tenir conseil avant de nous remettre entre les mains de gens qui pouvaient trouver leur intérêt à se défaire de nous plutôt qu’à nous laisser retourner au milieu de nos amis. Cette précaution n’était nullement dictée à Susquesus par son intérêt personnel, mais seulement par cette prudence qui doit caractériser le guerrier expérimenté, lorsqu’il se trouve engagé sur un sentier de guerre difficile.

— Vous les connaissez, me dit-il. Ce sont des squatters de Vermont — méchantes gens. — Vous croyez la terre à vous ; ils la croient à eux. Ayez votre carabine, et servez-vous en au besoin. Ayez l’œil sur eux.

— Je crois vous comprendre, Susquesus, et je me tiendrai