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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/180

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Il n’y avait rien dans mon habillement qui fût de nature à exciter de grands soupçons. À cette époque, le costume établissait une ligne de démarcation très-prononcée entre les diverses classes de la société ; et jamais on ne se serait permis aucun empiétement pour la franchir. Cependant l’usage était de déposer toute prétention quand on voyageait dans les bois, et je portais, comme je l’ai déjà dit, une blouse de chasse. Les vêtements qui auraient pu trahir ma position sociale étaient donc cachés, et pouvaient échapper à l’observation. Les convives de notre petite table n’étaient pas nombreux. Ils se composaient du père et de la mère, de nous deux, d’un garçon de vingt-deux ans et d’une jeune fille de seize ans, qui portaient les noms ambitieux, l’un de Zéphane, l’autre de Laviny. Les deux jeunes gens se comportèrent à table avec une grande modestie. Le vieux Mille-Acres et sa femme, malgré leur vie vagabonde, avaient toujours maintenu parmi leurs enfants quelque chose de l’ancienne discipline puritaine. J’étais frappé du contraste singulier qu’offrait cette déférence tacite et de certaines habitudes sociales, avec la vie en opposition constante, non-seulement avec les lois du pays, mais avec les principes éternels du droit, que ces gens avaient toujours menée.

— Vous êtes-vous informé du porte-chaîne ? demanda Prudence brusquement, dès que les couteaux et les fourchettes furent déposés, mais pendant que nous étions encore assis à table. Cet homme me tourmente plus qu’aucun autre ne l’a jamais fait.

— Ne craignez point le porte-chaîne, femme, répondit son mari, il a de la besogne pour tout l’été, sans venir près de nous. D’après les dernières nouvelles, ce jeune Littlepage, que son vieux coquin de père vient d’envoyer par ici, l’occupe sur sa propriété personnelle, et je calcule qu’il y restera jusqu’aux froids. Que j’aie le temps de me défaire de tout le bois que nous avons coupé, et je me moque du porte-chaîne et de son maître.

— Vous en parlez bien à votre aise, Aaron. Songez donc que nous n’en sommes pas à notre début. Calculez combien de fois nous nous sommes établis dans un lieu, pour en déguerpir ensuite. Je présume que je parle devant des amis ?

— Soyez tranquille, femme. Sans-Traces est une vieille con-