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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/185

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— Avez-vous jamais eu l’occasion de soutenir vos prétentions devant quelque tribunal ? me hasardai-je à lui demander après un moment de réflexion.

Mille-Acres réfléchit aussi avant de me répondre. — Oui, me dit-il enfin, on a voulu me persuader qu’ayant le bon droit pour moi, je pouvais très-bien me défendre contre un propriétaire régulier. Je me présentai donc en justice, mais, monsieur Mordaunt, je fus plumé comme un poulet, et l’on ne m’y reprendra plus. Il y a pourtant longtemps de cela, puisque c’était avant la guerre contre les Français. La justice peut être une bonne chose pour ceux qui sont riches, et qui s’inquiètent peu de perdre ou de gagner ; mais c’est une chose détestable pour ceux qui n’ont pas d’argent, et qui ne peuvent pas entamer l’affaire par le bon bout.

— Et si M. Littlepage découvre que vous êtes ici, et qu’il se montre disposé à entrer en arrangement avec vous, quelles seraient vos conditions ?

— Oh ! j’aime beaucoup les marchés. C’est l’âme de la vie, et comme le général Littlepage peut avoir quelques droits, je ne me montrerais pas rigoureux avec lui. S’il voulait ne pas faire de bruit, et s’entendre tout doucement avec nous, comme on le doit entre hommes, je ne serais pas difficile. Je n’aime pas la justice, je suis payé pour cela ; aussi, je n’y vais pas par quatre chemins, et il n’aurait jamais trouvé d’homme plus accommodant.

— Mais quelles seraient vos conditions ? vous ne me l’avez pas dit.

— Mes conditions ? elles seraient très-douces. On n’a jamais vu le vieux Mille-Acres se montrer récalcitrant, quand il a le droit et la raison pour lui ; ce n’est pas dans sa nature. Voici où en sont les choses entre ce Littlepage et moi. Il a un titre sur du papier, à ce qu’on dit, moi j’ai la possession, ce qui a toujours constitué le droit du squatter, et cette possession n’est pas à dédaigner, quand on y trouve des pins en quantité, l’emplacement d’un moulin, et qu’on a des débouchés sous la main.

Mille-Acres s’arrêta pour rire de nouveau, car lorsqu’il s’abandonnait à sa bonne humeur, c’était d’une manière si franche et si bruyante qu’il était forcé de s’interrompre. L’accès passé, il reprit :