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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/240

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jours à me contrecarrer, moi et les miens, depuis le jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Vous êtes notre ennemi par votre cruel métier, et pourtant vous êtes assez osé pour vous jeter vous-même entre nos mains.

— Je suis l’ennemi de tous les fripons, Mille-Acres, et je ne crains pas de le proclamer, répondit avec force le vieil André. Je suis votre ennemi par mon métier ? c’est moi qui puis dire cela de vous qui ne laisseriez rien à faire aux arpenteurs et aux porte-chaînes, avec votre habitude de prendre les terres qui vous conviennent, comme vous l’avez fait toute votre vie, sans même crier : gare ! aux propriétaires.

— Ne nous fâchons pas, porte-chaîne. Maintenant que vous êtes en mon pouvoir, je suis disposé à discuter paisiblement la chose avec vous, afin de n’avoir plus à y revenir. Nous nous faisons vieux, voyez-vous, et, quand on approche du terme, il est bon d’y songer quelquefois. Je ne viens pas d’une colonie hollandaise, moi, mais d’une partie du monde où l’on craint Dieu et où l’on se dit tout bas que tout ne finit pas à la mort.

— Ne parlons point de cela, Mille-Acres, dit André d’un ton d’impatience. Laissez de côté la religion, qui est une bonne chose, une chose qu’on doit honorer et vénérer, mais qui n’est pas à sa place dans la bouche d’un squatter. Pourriez-vous me dire, Mille-Acres, pourquoi vous autres Yankees, qui parlez tant de Dieu et qui priez si fort le dimanche, vous allez ensuite vous installer sur les terres d’un Hollandais ? J’ai vécu assez longtemps pour n’être pas plus bouché qu’un autre, mais j’avoue que je n’ai jamais pu comprendre cela. Il faut que la religion des Yankees et celle des Hollandais ne soient pas tirées de la même Bible.

— C’est ce que je crois en effet, porte-chaîne ; et, je dirai plus, c’est ce que j’espère. Votre religion n’est nullement mon fait, et je ne vous l’envie pas. Mais laissons la religion…

— Oui, vous ne ferez pas mal, grommela le porte-chaîne, car vous ne paraissez pas y entendre grand-chose.

— Écoutons ce que Mille-Acres peut dire pour excuser sa conduite, porte-chaîne, dis-je en intervenant dans le débat ; vous lui répondrez ensuite ; car je ne connais personne plus en état que vous, mon vieil ami, de défendre une cause juste.