Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

afin qu’il sache que je suis là. Il vaut mieux qu’il juge lui-même s’il est en état de parler.

Le son de la voix du porte-chaîne, qui parlait bas mais distinctement, frappa alors nos oreilles, et nous nous arrêtâmes tous pour écouter.

— Mille-Acres ! disait André en élevant la voix, dites-moi si vous m’entendez et si vous êtes en état de répondre ? Vous et moi, nous allons partir pour un très-long voyage, et il serait déraisonnable de nous mettre en route, le cœur chargé de mauvaises pensées et de sentiments pervers. Si vous aviez une nièce comme Ursule, pour vous tenir ce langage, mon vieux, votre âme s’en trouverait mieux, à son passage dans le monde où nous allons entrer tous les deux.

— Il le sait, — je suis sûr qu’il le sait, et il le sent aussi, murmura Prudence, le corps toujours aussi raide qu’auparavant. Il a eu de pieux ancêtres, et la grâce ne l’a pas tellement abandonné qu’il ne sache ce que c’est que la mort et l’éternité.

— Voyez-vous, Prudence, c’est très-bien d’avoir eu des ancêtres pieux ; mais ce qui importe surtout, c’est que votre homme ait le repentir dans le cœur ; qu’il déplore tous les actes d’illégalité et de violence qu’il s’est permis dans ce monde, et les licences qu’il a prises à l’égard de la propriété d’autrui. C’est d’après nos actions que nous serons jugés, et non d’après celles de nos ancêtres.

— Répondez-lui, Aaron, ajouta Prudence, répondez-lui, afin que nous sachions tous dans quelle disposition d’esprit vous vous séparez de nous. Le porte-chaîne est un brave homme au fond, et il ne nous a point fait de mal volontairement. Pour la première fois depuis qu’il avait reçu sa blessure, j’entendis la voix de Mille-Acres. Jusqu’alors le squatter avait gardé un morne silence, et j’avais supposé qu’il lui était impossible d’ouvrir la bouche. À ma grande surprise, il parla alors avec une fermeté de voix qui m’abusa dans le premier moment, en me donnant lieu de penser qu’il n’était pas aussi mal que je l’avais cru d’abord.

— S’il n’y avait point de porte-chaînes, grommela-t-il, il n’y aurait point de bornes, point de limites ; il n’y aurait pour tout