Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour le coup, dis-je en moi-même, voilà, je l’espère, une tactique assez évidente ; mais je ne suis pas assez niais pour être la dupe d’un artifice aussi peu caché. Je ne comprends rien à cette jeune fille ; à la voir, elle semble l’innocence et la bonne foi même, et c’est assurément une des plus charmantes personnes que j’aie jamais vues. Il ne faut pas qu’elle aperçoive à quel point je suis sur mes gardes ; mais tenons-nous bien, et opposons la ruse à la ruse. Il serait vraiment plaisant qu’après avoir commandé une compagnie avec quelque distinction, je me laissasse mener par une petite fille, fût-elle encore plus jolie et parût-elle plus naïve que cette Priscilla Bayard, ce qui, par parenthèse, serait difficile.

Quand on se parle à soi-même, on en dit beaucoup en peu de temps ; aussi mon aparté ne me prit-il que quelques secondes, et, après un moment d’hésitation, je répondis à ma belle compagne.

— Je ne comprends pas pourquoi M. Bayard tiendrait tant à mon opinion, dis-je d’un air tout aussi innocent, selon moi, que celui qu’avait pris mon aimable interlocutrice ; et en tout cas, je suis loin de juger quelqu’un sévèrement, parce qu’il se trouve différer d’avis avec moi sur des points très-délicats qui peuvent diviser les plus honnêtes gens.

— Vous ne sauriez croire le plaisir que vous me faites en parlant ainsi, monsieur Littlepage ; Tom va être au comble de la joie ; car je ne vous cacherai pas qu’il avait grand peur de vous.

Et ces paroles furent accompagnées du plus ravissant sourire qui ait jamais animé la physionomie d’une femme. Ce sourire me poursuivit longtemps dans mes rêves, mais je luttai contre son influence avec l’obstination d’un homme qui ne veut pas se laisser prendre. Je résolus néanmoins d’aller droit au fait, pour ce qui concernait Bayard et ma sœur, et de ne pas m’amuser davantage à battre les buissons par des allusions indirectes.

— Permettez-moi de vous le demander encore, miss Bayard, dis-je, dès qu’il me fut possible de parler ; qu’est-ce que mon opinion peut faire à votre frère ?

— Vous ne pouvez ignorer ce que je veux dire, répondit Priscilla un peu surprise ; il suffit de regarder le couple qui est