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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/59

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— J’aurais grand plaisir à aller rendre visite à la vieille mistress Vander Heydeu, à Kinderhook, Mordaunt, dit ma mère après une des pauses qui avaient souvent lieu dans la conversation ; c’est une de nos parentes, et j’ai beaucoup d’affection pour elle. En même temps son souvenir se rattache dans mon esprit à celui de cette nuit horrible passée sur la rivière, dont je vous ai parlé, mes enfants.

En disant ces mots, ma mère jeta un regard attendri sur le général, qui lui répondit par un coup d’œil non moins expressif. Il était impossible de voir un ménage plus uni. Ils semblaient n’avoir qu’un même esprit, qu’une même pensée ; et si, par hasard, il venait à se manifester entre eux la plus légère divergence d’opinion, c’était alors, non pas à qui l’emporterait, mais à qui céderait le plus vite.

— Il serait bien, Anneke, dit mon père, que le major allât visiter la tombe du pauvre Guert, et s’assurer si la pierre tumulaire a été respectée. Je n’y ai pas été depuis 1768, et des dégradations pourraient avoir été commises.

Ces paroles furent prononcées à voix basse, de manière à n’être pas entendues de ma tante Mary ; d’ailleurs, elle était un peu sourde, ce qui rendait la discrétion plus facile. Il n’en était pas de même du colonel Dirck, qui fit une question qui prouvait qu’il avait entendu l’observation de mon père.

— Et la tombe de lord Howe, Corny, qu’est-elle devenue ?

— Oh ! la colonie y a pourvu. Ou l’a enterré, je crois, dans la nef de Saint-Pierre, et il n’y a rien à craindre pour son tombeau. Mais pour l’autre, major, il sera bon d’y veiller.

— De grands changements ont eu lieu à Albany, depuis que nous y avons été dans notre jeunesse, dit ma mère d’un air pensif. Les Cuylers ont été frappés par la révolution, tandis que les Schuylers sont montés au pinacle. Pauvre tante Schuyler ! Elle ne vit plus pour accueillir notre fils !

— Que voulez-vous, ma chère ? Le temps a marché ; et nous devons encore être reconnaissants que notre famille soit aussi nombreuse, après une guerre si longue et si sanglante.

Je vis les lèvres de ma mère s’agiter, et je suis sûr qu’elle remerciait la Providence de lui avoir conservé son mari et son fils.