Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moulins de quelque importance de la concession. Je ne le connaissais que de réputation ; mais certains passages de sa correspondance avec mon père n’avaient donné lieu de penser qu’il n’existerait pas beaucoup de sympathie entre nous.

Quiconque a vu en Amérique ce qu’on appelle « un pays nouveau sait que rien n’est moins attrayant. Les amateurs du pittoresque n’ont qu’à s’enfuir au plus vite ; car les travaux qu’il a fallu faire pour les défrichements ont altéré les beautés naturelles du paysage, sans que l’art ait encore eu le temps d’y remédier. On ne voit de tous côtés que des piles de morceaux de bois à demi brûlés, de bûches équarries, des barrières grossièrement formées et remplies de ronces ; à chaque pas des souches et des racines qui sortent de terre, des constructions informes, des clairières désertes. Tout a un cachet de provisoire, parce qu’il a fallu pourvoir en toute hâte aux nécessités du moment. Quelquefois cependant cet état de transition se présente sous un jour plus favorable. Quand le commerce est en pleine voie de prospérité, et que les produits des nouvelles terres sont demandés, alors un établissement présente une scène active et animée, au milieu de la fumée des défrichements.

Il n’en était pas encore ainsi dans la partie que je traversais. Depuis l’endroit où je quittai la grande route du nord jusqu’aux limites de la concession, je ne trouvai guère plus de traces de culture que mon père, d’après son récit, n’en avait trouvé vingt-cinq ans auparavant. Il y avait bien dans cet intervalle une petite auberge construite en bois ; mais elle n’offrait pour boisson que du rhum, et, pour nourriture, que du porc salé et des pommes de terre, le jour du moins où je m’arrêtai pour y dîner. Il y avait des saisons où, à l’aide du gibier et du poisson, on eût pu faire un repas plus succulent. Ce n’était pourtant pas l’opinion de l’hôtesse, à en juger par les remarques qu’elle fit pendant que j’étais à table.

— Vous êtes heureux, major, me dit-elle, de n’être pas venu ici dans un de ces moments que j’appelle nos époques de famine.

— De famine ! Voilà en effet qui est sérieux ; mais je n’aurais jamais cru que dans un pays aussi riche et aussi abondant, la famine pût se faire sentir.