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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/79

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— Votre père est un ami ; son fils, je l’espère, est un ami aussi. Votre grand-père l’était autrefois ; mais il est parti et n’ešt jamais revenu. J’ai connu votre père, votre mère — tous bien bons.

— Prenez toute la terre que vous voudrez, Sans-Traces ; cultivez-la, vendez-la, faites-en ce qu’il vous plaira.

L’Indien me regarda fixement, et je surpris un léger sourire de satisfaction sur ses traits durcis par le temps. Mais il n’était pas facile de lui faire perdre son sang-froid, et cet éclair ne fut que passager, comme un rayon de soleil au milieu de l’hiver. Le blanc, même le moins démonstratif, m’aurait pris la main ; et il est probable que sa reconnaissance aurait trouvé quelque moyen de se manifester ; mais à part ce sourire imperceptible, mon compagnon resta impassible, et rien à l’extérieur ne trahit la moindre émotion. Cependant il avait des sentiments innés de délicatesse et de courtoisie qui ne lui permirent pas de laisser sans réponse une offre qui partait si évidemment du cœur.

— Bien ! dit-il après une longue pause ; très-bien, de la part de jeune guerrier à vieux guerrier. Merci. — Les oiseaux sont abondants, le poisson abondant, les messages abondants ; et je n’ai pas besoin de terres. Le temps peut venir, et il viendra sans doute pour tous les vieux Indiens, dans ces environs…

— Quel temps, et que voulez-vous dire, Susquesus ? Dans tous les cas et en tout temps, vous avez en moi un ami.

L’Indien s’arrêta, laissa tomber à terre la crosse de sa carabine, et resta immobile, semblable à une belle statue antique.

— Oui, le temps viendra où le vieux guerrier demeurera dans un wigwam, et il parlera au jeune guerrier de chevelures, de feu du conseil, de chasse, et de sentier de guerre ; maintenant, il fait des balais et des paniers.

Je ne saurais dire à quel point je prenais intérêt à cet Onondago, que je connaissais depuis si peu de temps ; mais je sentais que c’était par des actes qu’il fallait le lui prouver, et non par des paroles. Me contentant pour le moment de serrer fortement la main calleuse du guerrier, je me remis en chemin, sans revenir sur un sujet qui m’était aussi pénible qu’à mon compagnon.