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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/83

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— Comment donc si peu d’hommes blancs furent-ils assez forts pour repousser du rivage de la mer tous les guerriers rouges, et pour devenir maîtres du pays ? En pouvez-vous donner une raison ?

— Parce qu’ils apportèrent l’eau de feu avec eux, et que l’homme rouge eut la folie d’en boire.

— Cette eau de feu même, qui en effet a été un présent si fatal pour les Indiens, est un des fruits de la science de l’homme blanc. Non, Susquesus ; les Peaux-Rouges sont aussi braves que les Visages-Pâles, aussi prêts à défendre leurs droits ; mais ils ne savent pas autant. Ils n’avaient pas de poudre avant que l’homme blanc leur en eût donné ; — pas de fusil, pas de houe, pas de couteau, pas de tomahawk, autres que ceux qu’ils faisaient avec des cailloux. Eh bien ! toute la science et tous les arts de la vie dont jouissent les blancs proviennent du droit de propriété. Quel est l’homme qui voudrait construire un Wigwam pour y fabriquer des fusils, s’il pensait qu’il ne pourra pas le garder tant qu’il voudra, et le laisser à son fils quand il ira dans la terre des esprits ? C’est en encourageant ainsi l’amour propre qu’on stimule à faire de grandes choses. C’est ainsi que le père transmet au fils ce qu’il a appris, aussi bien que ce qu’il a bâti ou acheté ; et de cette manière, des nations deviennent avec le temps puissantes, en même temps qu’elles deviennent ce que nous appelons civilisées. Sans ce droit de propriété, aucun peuple n’arriverait à la civilisation ; car personne ne ferait de grands efforts, si l’on n’était pas sûr de conserver ce qu’on peut acquérir en se soumettant aux lois qui règlent ces grands intérêts. Vous me comprenez, Sans-Traces, n’est-ce pas ?

— Oui, la langue de mon jeune ami n’est pas comme le mocassin de Sans-Traces ; elle laisse une piste. Mais pensez-vous que le Grand Esprit ait dit qui aura la terre, qui ne l’aura pas ?

— Le Grand Esprit a créé l’homme tel qu’il est, et la terre telle qu’elle est ; et il a voulu que l’un fût le maître de l’autre. Tout ne se fait que par son bon plaisir. La loi, en plaçant tous les hommes sur le même niveau, quant aux droits, a fait tout ce qu’on pouvait attendre d’elle. Mais ce niveau ne consiste pas à démolir tout périodiquement pièce à pièce, mais bien à res-