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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/90

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Ne dites rien du but de mon voyage : je suis assez curieux d’observer un peu ce qui se passe, avant de parler moi-même.

L’Indien se leva, et descendit la hauteur par un sentier qui lui semblait familier. En quelques minutes, nous avions rejoint la grande route, et nous n’étions pas loin du hameau. Je n’avais rien gardé de mon costume de ville ; et il n’eût pas été facile de reconnaître le propriétaire du domaine dans un voyageur qui arrivait à pied, en blouse de chasse, son fusil à la main et accompagné d’un Indien. Je n’avais donné récemment aucun avis de ma prochaine arrivée, et l’idée m’était venue en chemin d’examiner un peu les choses incognito. Pour assurer le succès de ma ruse, il n’était pas inutile de dire encore un mot à l’Indien.

— Susquesus, ajoutai-je en voyant que nous approchions, j’espère que vous m’avez compris. Il est inutile de dire qui je suis. Si l’on vous interroge, vous pouvez répondre que je suis votre ami. Vous ne mentirez pas ; car je le serai tant que je vivrai.

— Bon ! le jeune chef a des yeux, il veut s’en servir. Bon ! Susquesus entend !

Un instant après, nous étions au milieu de la foule, devant la porte de l’école. L’Indien était si connu et on le voyait si souvent, que son apparition n’excita aucune sensation. À voir les conversations particulières, les figures animées, les groupes qui se formaient, on pouvait juger que quelque affaire importante était sur le tapis. Dans cet état d’agitation, on ne fit pas grande attention à moi qui me tenais sur la lisière de cette nombreuse assemblée, où il pouvait se trouver de soixante à soixante-dix hommes, sans compter un nombre presque égal de grands garçons. Cependant j’entendis demander près de moi qui j’étais, et si j’avais droit de voter. Ma curiosité était assez vivement excitée, et j’allais demander quelques explications, quand, à la porte de l’école, parut un personnage qui se mit à exposer l’affaire. C’était un petit homme à cheveux gris, maigre, ridé, dont le regard était assez perçant, et qui était mieux mis que la plupart de ceux qui l’entouraient, bien que sa toilette ne fût remarquable ni par l’élégance, ni par la propreté. Il pouvait avoir soixante ans. Il parla avec beaucoup de sang-froid et de mesure,