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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/328

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pâle est né au delà du lac salé ; l’homme noir vient d’un pays à lui, où le soleil est toujours au-dessus de sa tête. Qu’importe ? nous sommes frères. La Lèvre-Épaisse (tel est le nom que les Indiens donnaient à Jaaf) est ami de Susquesus. Ils ont vécu dans le même wigwam pendant tant d’années que leur venaison a le même goût. Ils s’aiment l’un l’autre. Tout ce qu’aime, tout ce qu’honore Susquesus, les Indiens l’aiment et l’honorent. J’ai dit.

Il est très-certain que Jaaf n’aurait pas compris une syllabe de ce qui lui était adressé, si Mille-Langues ne l’eût d’abord averti que c’était à lui en particulier qu’était destinée l’allocution, de Pied-de-Biche, et si de plus il n’avait traduit le discours de l’orateur, mot par mot et avec beaucoup d’exactitude, à mesure que chaque phrase se terminait. Ces précautions mêmes n’eussent peut-être pas suffi pour donner au nègre la conscience de ce qui se passait, si Patt ne s’était approchée de lui et ne lui eût recommandé de faire attention à ce qui allait être dit, et de tâcher de répondre lorsque l’orateur aurait fini. Jaaf était tellement accoutumé à ma sœur, et si profondément convaincu de la nécessité de lui obéir, qu’elle réussit parfaitement à réveiller son attention et il nous étonna tous par la promptitude avec laquelle il se mit au courant de son rôle. Il est probable aussi qu’il lui restait quelques souvenirs de scènes semblables auxquelles il avait assisté dans ses jeunes années, dans les différents conseils tenus par les tribus de New-York, auprès desquelles mon grand-père, le général Mordaunt Littlepage, avait été plus d’une fois envoyé en commission.

— Eh bien ! dit Jaaf d’un ton brusque, suppose que le nègre doit dire quelque chose. Pas grand parleur, cependant, car il n’est pas un Indien : nègre travaille trop pour parler beaucoup. Ce que vous avez dit de l’endroit d’où vient le nègre n’est pas vrai, il vient de l’Afrique, il y a long longtemps. Hélas comme je deviens vieux ! Quelquefois je pense que le pauvre homme noir ne pourra jamais se coucher pour prendre son repos. Je vois que tout le monde prend son repos, excepté le vieux Sus et moi. Je suis encore très-fort, et je deviens tous les jours de plus fort en plus fort, quoique terriblement fatigué ; mais lui devient chaque jour de plus faible en plus faible. Il ne peut pas aller longtemps maintenant, le pauvre Sus ; chacun doit mourir un jour. Les vieux vieux maître et maîtresse, ils sont d’abord morts ; puis maître Corny ; ensuite est venu le tour de maître Mordaunt et de maître Malbone,