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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/56

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— Je comprends. — Six dollars, hein ! Cela sonne un peu haut pour une montre de cette apparence ; mais je suis toujours l’ami du pauvre et je méprise l’aristocratie. Ce que Sénèque détestait il croyait le mépriser, et par aristocratie il n’entendait pas autre chose que les gens comme il faut, dans la vraie signification du mot.

— Je suis toujours disposé à venir en aide à l’honnête citoyen. Si vous voulez vous résoudre à me céder la montre pour rien, je crois pouvoir vous indiquer un endroit où vous pourriez vendre les dix-neuf autres en une semaine.

— Pon ! s’écria joyeusement mon oncle, brenez-la ; elle être fotre brobriété. Montrez-moi seulement le ville où je fendrai les dix-neuf autres.

— Ce n’est pas une ville, reprit Sénèque, ce n’est qu’un bourg. Espériez-vous que ce serait une cité ?

— Qu’imborte à moi ! J’aimerais mieux fendre mes montres à de pons et honnêtes cambagnards qu’à d’insolents pourgeois d’une grosse cité.

— Vous êtes mon homme. Le bon esprit est en vous. J’espère que vous n’êtes ni un patron ni un aristocrate ?

— Che ne sais pas ce qu’est un batron, ce qu’est un aristograte.

— Non ! Eh bien vous êtes un homme heureux dans votre ignorance. Un patron est un noble qui s’approprie la terre des autres ; et un aristocrate est un homme qui se croit supérieur à ses voisins.

— Alors donc, che ne suis ni batron car je ne retiens ni la terre d’un autre ni même une terre à moi et che n’être supérieur à personne.

— Si, vous l’êtes ; vous n’avez qu’à vous le mettre en tête, et vous serez aussi bon gentilhomme qu’eux tous.

— Eh bien, che feux essayer et le croire, et être plus meilleur qu’eux tous. Mais cela n’être pas pon non plus ; cela me faire plus meilleur que fous ; car fous être un des plus grands barmi ces gentilshommes.

— Oh ! quant à moi, n’y songez pas ; je dédaigne d’être à leur niveau. Je crie : « À bas les rentes ! » et vous en ferez autant lorsque vous aurez été huit jours dans cette partie de la contrée.

— Quelles rentes faut-il crier à bas ?

— Les rentes sont des choses opposées à l’esprit des institutions, comme vous pouvez le voir par mes sentiments. Mais enfin, qu’importe ! je garderai votre montre, puisque vous le voulez, et