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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/66

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en rapport avec le caractère. Mary Warren non-seulement accentuait comme une personne accoutumée à la bonne société, mais les modulations de sa voix, par elle-même singulièrement douce, étaient égales, agréables, et aussi éloignées que possible de la manière désordonnée, inégale, tantôt précipitée et tantôt traînante, d’Opportunité. Dans notre siècle de langage et d’habitudes relâchées, d’allures libres et dégagées, la parole indique mieux peut-être que tout le reste l’homme ou la femme bien élevés.

— Sen est vraiment fait pour exercer la patience ! s’écria Opportunité. Nous devons quitter Troie dans une demi-heure, et j’ai des visites à faire à mademoiselle Jones, à mademoiselle Leblanc, à mademoiselle Lebrun, à mademoiselle Leverd et à trois ou quatre autres, et je ne puis l’avoir à ma disposition.

— Pourquoi ne pas aller seule ? répliqua Mary avec calme ; il n’y a qu’un pas d’ici à la plupart de vos connaissances, et vous ne pouvez manquer votre chemin. Voulez-vous que j’aille avec vous ?

— Oh ! manquer mon chemin ! Non, certes. Je n’ai pas été élevée à Troie pour m’égarer dans les rues. Mais cela semble si étrange de voir une jeune personne marcher dans les rues sans un beau ! Je ne voudrais pas même traverser une chambre sans donner le bras à un beau ; à plus forte raison traverser les rues. Non ; si Sen ne vient pas bientôt, je ne pourrai voir aucune de mes amies, et ce sera un désespoir pour nous tous ; mais qu’y faire ? Quant à sortir sans un beau c’est ce que je ne ferai pas, dussé-je n’en revoir jamais aucune.

— Voulez-vous accepter mon bras, mademoiselle Opportunité ? dit M. Warren ; je serais enchanté de vous être agréable.

— Seigneur ! monsieur Warren, vous ne songez pas à jouer le rôle de beau à votre âge ? Tout le monde verrait que vous êtes un ecclésiastique, et il vaudrait autant pour moi sortir seule. Non ; si mon frère ne vient pas, il faut que je manque mes visites, et mes jeunes amies en seront furieuses, je n’en doute pas. Araminta Maria m’a écrit de la manière la plus empressée de ne jamais traverser Troie sans m’arrêter pour la voir, quand même je ne verrais aucun autre mortel ; et Catherine Clotilde a été jusqu’à dire qu’elle ne me pardonnerait jamais si je passais sa porte. Mais Sénèque ne se soucie pas plus des amitiés de demoiselles que du jeune patron. Je déclare, monsieur Warren, que je crois que Sen deviendra fou si les anti-rentistes ne réussissent pas ; car il ne fait