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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/98

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— Général Littlepage, n’ai-je pas dit ? nom de maître Mordaunt, mon jeune maître. Sus qui est là, seulement un Indgien ; jamais assez heureux pour avoir bon maître. Nègues devenir rares jourd’hui dans ce monde.

— Indgiens aussi, che crois ; plus de Peaux-Rouges ; mais en venir peaucoup.

L’Onondago se leva vivement, attachant un profond regard sur mon oncle ; son mouvement était superbe et imposant. Jusqu’ici il n’avait rien dit, excepté ses mots de salut : je vis qu’il allait parler.

— Nouvelle tribu ! dit-il. Comment vous-l’appeler ? d’où venir ?

— Ya, ya c’être les Peaux-Rouges anti-rentistes. Afez-fous pas vu, Sans-Traces ?

— Oui… venir me voir… face dans des sacs… se conduire comme des squaws ; pauvre Indgien, pauvre guerrier !

— Y a, che crois c’être frai. Che n’aime pas ces Indgiens. Comment fous les appeler, eh ?

Susquesus secoua la tête lentement et avec dignité. Puis il considéra attentivement mon oncle, ensuite fixa ses yeux sur moi. Pendant quelque temps ses regards se portèrent de l’un à l’autre, puis il les tourna vers la terre avec calme et en silence. Je pris ma vielle et je jouai un air vif qui était très-populaire parmi les nègres de l’Amérique, et qui, je regrette de le dire, commence à le devenir parmi les blancs. Susquesus paraissait ne pas l’entendre, si ce n’est qu’une légère teinte de mépris effleura ses traits accentués. Il en était tout autrement de Jaaf. Je pus voir un certain mouvement nerveux dans ses membres inférieurs, comme s’il se sentait quelque disposition à danser. Cela passa cependant bientôt, quoique sa figure renfrognée, ridée, sombre et grise, continuât pendant quelque temps à rayonner d’une joie mélancolique.

On ne devait pas s’attendre que des gens aussi âgés fussent disposés à parler beaucoup. L’Onondago avait toujours été un homme silencieux, la dignité et la gravité de caractère s’unissant à la prudence pour le maintenir ainsi. Mais Jaaf était bavard par constitution, quoique le temps eût nécessairement beaucoup affaibli cette propension. En ce moment, des pensées et des souvenirs mélancoliques semblaient s’emparer de mon oncle, et, après que j’eus fini de jouer, nous demeurâmes pendant quelques minutes tous quatre plongés dans nos réflexions. Tout à coup, un