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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/169

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Il craignait que son récit ne causât à son ami une trop vive émotion, et il n’était pas fâché de retarder ses explications. Ainsi il avait été charmé qu’il eût reconnu le nègre, ce qui avait dû le préparer à quelque chose d’extraordinaire. C’est que ce qu’il allait entendre était bien extraordinaire, en effet. Enfin Betts, ayant achevé son dîner, après un certain nombre d’insinuations préparatoires pour atténuer l’effet de ses paroles, se décida à entrer en matière. Nous en aurions pour longtemps si nous le suivions dans toutes ses circonlocutions, et Marc eut bien de la peine à ne pas l’interrompre cent fois, surtout lorsqu’il s’appesantissait sur les courants, sur les vents favorables ou contraires, sur toutes les circonstances matérielles de son voyage ; mais il crut que le plus prudent et le plus court, peut-être, était de le laisser suivre le fil de son récit comme il l’entendrait. Comme le lecteur pourrait ne pas être d’humeur aussi facile, nous nous bornerons en rapporter la substance.

Quand Betts avait été entraîné loin du Récif par la tempête de l’année précédente, il n’avait eu d’autre parti à prendre que de laisser la Neshamony dériver avec lui. Dès qu’il l’avait pu, il s’était efforcé de gagner au vent ; et, lorsqu’il voyait devant lui des écumes qui annonçaient la présence de brisants, il tâchait de les parer, mais il n’y réussissait pas toujours ; et alors il était le jouet de la tempête, et se voyait entraîné à travers ou par-dessus tous les obstacles. Heureusement le vent avait tellement amoncelé les vagues que la pinasse était portée de récif en récif, sans même les effleurer ; et, en moins de trois heures, elle se trouva en pleine mer. Mais l’ouragan était trop violent pour qu’il fût possible d’établir des voiles, et Bob fut obligé d’attendre que le vent fût tombé.

Pendant plus de huit jours, il chercha alors à revenir sur ses pas pour rejoindre son ami ; mais il n’y put réussir. Ce qu’il faisait de chemin pendant le jour, il le perdait la nuit pendant son sommeil. Telle fut du moins l’explication de Bob ; mais Marc fut plus porté à croire qu’il n’avait pas su s’orienter convenablement.