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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/145

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bres fatigués en gravissant Bunker-Hill. Les yeux hautains de la plupart des officiers étaient baissés avec un air de honte, et les soldats, quoique alors en lieu de sûreté, jetaient encore des regards inquiets en arrière, comme s’ils eussent craint que ces colons, qu’ils avaient si longtemps méprisés, ne continuassent à les poursuivre.

Un peloton succédait à un autre, chacun de ceux qui les composaient paraissant également fatigué. Enfin Lionel vit, à quelque distance, un cavalier qui s’avançait au milieu des rangs de l’infanterie, et quand il le vit de plus près, ce fut avec autant de plaisir que de surprise qu’il reconnut Polwarth, monté sur le coursier qu’il avait lui-même abandonné. Le capitaine s’avança vers lui avec un air de calme et de satisfaction. Ses habits étaient déchirés, la housse de la selle du cheval était coupée en rubans, et quelques taches de sang caillé sur les flancs du noble animal, annonçaient que celui qui le montait avait attiré l’attention particulière des Américains.

Le capitaine raconta alors ses aventures. Il avait senti renaître en lui le désir de suivre ses compagnons d’armes, quand il avait vu le cheval du major courir à l’abandon dans la campagne. Il avoua même qu’il lui en avait coûté sa montre pour se le faire amener. Mais, une fois qu’il s’était trouvé en selle, ni dangers, ni remontrances, n’avaient pu le décider à quitter une position où il se trouvait si à son aise, et qui le consolait de toutes les fatigues qu’il avait éprouvées dans cette malheureuse journée où il avait été obligé de partager les calamités de ceux qui avaient combattu pour la couronne d’Angleterre dans le mémorable combat de Lexington[1].

  1. Ce nom de Lexington est devenu presque un cri de liberté, non seulement en Amérique, mais aussi en Europe : on se rappelle l’admirable passage de M. de Chateaubriand dans l’Essai sur les révolutions : « J’ai vu les champs de Lexington ; je m’y suis arrêté en silence, comme le voyageur aux Thermopyles, à contempler la tombe de ces guerriers des Deux-Mondes qui moururent les premiers pour obéir aux lois de la patrie. En foulant cette terre philosophique qui me disait dans sa muette éloquence comment les empires se perdent et relèvent, j’ai confessé mon néant devant les voies de la Providence, et baissé mon front dans la poussière. »